Les pâturages devenant de plus en plus petits, le nombre de manades augmentant chaque jour ; les manadiers furent obligés, il y a une quarantaine d’année, de marquer leurs taureaux afin de mieux les reconnaître. Un taureau échappé de la manade ou d’un plan de village retourne presque toujours de là ou on la trié le matin ; mais il arrive aussi qu’il s’égare vers un autre groupe et là, il sera très vite reconnu par le gardian, grâce à « l’escoussuro [1] » des oreilles où à la marque au fer rouge qu’on lui a faite sur la cuisse gauche le jour ou on l’a sevré.

Aujourd’hui on ne fait plus beaucoup attention à ces questions de marque. Les aficionados applaudissent tout autant les taureaux, qu’ils appartiennent à Pierre ou à Paul. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Quelques années avant la guerre certains aficionados s’attrapaient sérieusement pour un cocardier et les marques défendues avec un acharnement, que l’on peut de nos jours qualifier de ridicule. Les arènes de Lunel qui étaient à ce moment là le centre des courses libres, ont entendu à ce sujet de belles et violentes discussions.

Mais ce n’était pas à la ville que les gens étaient les plus enragés. C’était dans les villages. Il n’y a pas bien longtemps, il n’y avait en Languedoc que deux manades importantes : celle de Combet et celle de Papinaud. On ne disait pas d’un homme qu’il était de tel ou tel parti ; mais : es de la marco de Combet ou de Papinaù. Cela peut faire rire de nos jours mais c’était ainsi il y a à peine vingt cinq ou trente ans, donc cela remonte a 1895-1900. Toutes les occasions étaient bonnes pour s’enguirlander ou se battre. Ceux de la marque de Combet ne risquaient pas d’aller voir courir les taureaux du Papinaud et vice-versa.

Ainsi, pour les fêtes qui entraînent des réjouissances populaires, on avait l’habitude autrefois, de lancer des fusées énormes, appelées, je ne sais trop pourquoi, « des lardons ». Dans beaucoup de villages on formait deux camps : celui du café de la marque Combet et celui du café de la marque Papinaud. C’était à qui s’arrêterait le dernier de lancer ces engins dangereux, puis d’autres cafés se sont établis quand il y a eu la multiplication des manades, une raison qui a fait qu’en pays de bouvine de petits villages avaient jusqu’à quatre et même cinq cafetiers ; bien entendu c’était ridicule, ça n’avait pas aucun rapport avec la tauromachie, mais ces divisions montrent combien se haïssaient pour leur marque les habitants d’un même village.

Cette longue parenthèse terminée arrivons-en au sujet de cet article. En ce moment il n’y a absolument aucun règlement pour régir les manadiers. Il y a bien deux associations : la Confrérie des Gardians et la Nacioun Gardiano, mais ni l’une ni l’autre n’est de force à imposer quoique ce soit à un quelconque manadier. Nous reviendrons un autre jour sur ce sujet et pour aujourd’hui parlons seulement de la marque.

Il n’est pas juste, comme cela s’est déjà produit plusieurs fois, qu’un manadier utilise pour marquer son bétail la marque déjà utilisé par un confrère. En ce moment aucun règlement ni personne ne l’en empêche. Il me semble qu’il serait facile de conférer ce droit a une association gardiane, en exigeant que chaque manadier soit obligé de déposer un modèle de son « escoussuro » et de sa « marque » auprès du bureau de l’association désignée. Chaque fois qu’une nouvelle manade se formerait ou qu’un manadier voudrait changer sa marque, il devrait demander l’autorisation et déposer à son tour, le modèle choisi. C’est je crois, le procédé usité en Espagne, mais il est vrai que les ganaderos espagnols ont une association riche et puissante, tandis qu’en France il y a deux sociétés, l’une squelettique, l’autre de parade. Ce n’est pas avec cela que nous risquons de sauver les courses libres,