Les stèles ou tombes de nos chevaux et taureaux camarguais en sont régulièrement le témoignage, tant au bord d’une route, d’un boulevard, qu’au détour d’une draille bordée de tamaris et de salicornes.

Egalement, des plaques apposées à l’angle de nos rues, perpétuent l’image de gardians, poètes, manadiers et mainteneurs, nous rappelant nos jeunes années, voire celles de nos "papets".

Marcel

Marsillargues, au passé riche de personnalités, ne fait bien sûr pas exception à la règle. Mistral, le bon Docteur Marignan, Campoul, Fourmaud et d’autres félibres, ont eu droit aussi à l’hommage des édiles et habitants locaux, en récompense de leur investissement à la cause.

Prochainement, à l’initiative du Club Taurin "La Sounaïa" soutenue par la municipalité, et, bien entendu avec l’accord de la famille, ce sont les arènes locales qui vont être baptisées du nom d’un défenseur sincère de nos coutumes et de nos traditions : Marcel Guillarmet.

Les années défilant trop vite, le souvenir s’estompe quelquefois un peu trop rapidement, aussi, n’est il peut-être pas inutile de revenir sur le parcours de cet homme de conviction

Premières joies et retour sur terre.

Le grand-père, Eugène, fréquentait régulièrement Mathieu Raynaud. Le virus sévissait donc dans la famille depuis déjà longtemps. Son père, Paul, régisseur au Mas de St Julien, afeciouna convaincu et membre fondateur du Club Taurin cité plus haut, décide un beau jour de sauter le pas séparant le gardian amateur du manadier.

La manade Rouvillain étant à vendre, Paul, associé à son ami Trintignant, s’en porte aussitôt acquéreur, assouvissant ainsi son rêve. Nous sommes en 1933, et Marcel, né le 23 septembre 1919, devient tout naturellement, à 13 ans, "gardianou" au sein de "La manade de La Plaine", nom de la propriété où pâturait le troupeau. Il va ainsi s’aguerrir à ce difficile métier, au contact de Marceau Tourreau, le père de Loulou (longtemps employé chez Saumade), bayle-gardian de la manade. Il s’était quand même auparavant familiarisé avec le milieu, au cours d’abrivados à Gallician, avec les Raynaud encore, dès l’âge de 8 ans...

Malheureusement, la bêtise de quelques hommes suffit parfois à ruiner les espérances de beaucoup d’autres. La Grande Guerre perdure et la manade, ayant bien trop souffert des méfaits de l’occupant, doit être vendue. Nous sommes en 1943. Les parents de Marcel, sa mère d’abord, son père un peu plus tard, moralement usés, dégoûtés et épuisés ne survivront que quelques années à la perte de leur cheptel.

Cependant, la vie continue et il faut bien manger ! D’autant que Marcel va se marier avec Andrée Arias, la sœur des raseteurs Tantan (Arias Sébastien NdT) et Salvador, et que, la même année, 1946, Maguelone viendra égayer le foyer du jeune couple. Il va donc gérer et faire marcher un temps le patrimoine familial : de la vigne et quelques juments.

Les années "lumière"

Le destin pourtant, sans doute pour se faire pardonner, va lui faire un joli sourire. Paul Laurent, nouveau manadier, cherche un gardian sur Marsillargues. En moins de deux, Marcel se retrouve donc aux côtés de Justin Bonnafoux, gardian salarié de "la Marque à la Grasiho".

Ce bail commencé en 1949, ne s’achèvera qu’en 1996, soit 47 années de présence. L’ heure de la retraite légale avait depuis longtemps sonné, mais un accident cardiaque n’avait pu avoir raison de sa passion, alors la retraite, pensez donc...

Car son métier, comme beaucoup d’autres, Marcel l’aura vécu comme un sacerdoce. Levé aux premières lueurs de l’aube, couché tard le soir, après avoir soigné les bêtes, la vie de famille s’en trouve naturellement bien écornée. Hommage soit rendu encore une fois, à ces femmes de gardians, qui épousent à la fois l’homme et le métier, partageant les peines et les vicissitudes des deux, ne participant que très rarement aux honneurs, bien que concourant généralement à la bonne marche de la manade. Sans doute ce que l’on appelle : pour le meilleur et pour le pire...

Le pire, il a existé, obligatoirement, mais Marcel n’aimait à se rappeler que du meilleur. Les fabuleuses années de réussite au sein de la manade Laurent et le contact particulier qu’il nourrissait avec ses préférés : Goya, Brun, St Laurentais, Fafet, Bagheera et autres resteront évidemment des moments privilégiés.

Il aimait, il adorait même parler de ses Biou d’Or. Il est certain que peu de personnes pourront lui contester son hégémonie sur ce titre. En effet, en tant que gardian ou bayle-gardian, ce ne sont pas moins de 12 récompenses qu’il peut revendiquer Tigre (59-60), Caraque (62), Loustic (65-66-67), Gardon(74-75), Goya(76), Fidélio(85), Filou(87), Banco(90).

"Et encore, disait-il, je pourrais revendiquer celui de Petit-Loulou (Aubanel), car en 64, il était sur la manade." Sacré Marcel, perfectionniste et jamais complètement satisfait ! De même, il aura côtoyé tous les grands noms du métier, tant sur la manade que dans les torils. Aussi, lorsque se fonde l’Amicale des gardians salariés, le 2 janvier 1972, sous la présidence d’ André Bouix, il en devient le secrétaire, (un autre grand disparu, Robert Terrasse, officiant comme trésorier). Il assumera ensuite, la vice-présidence de l’Amicale jusqu’à sa mort.

Donc, en 1996, Marcel décide de prendre une retraite définitive. Aujourd’hui, quelques jeunes qu’il a contribué à former à ce dur et beau métier, poursuivent son oeuvre au sein de nos chers troupeaux noirs ! Patrick Alarcon, Jean-Luc Verstraete et Jean Clopés ou René Roux, entre autres, n’ont certainement pas perdu leur temps au contact de ce patriarche au visage buriné sous son éternel chapeau noir.

Bénéficiant d’une aura lui permettant d’attirer lors des ferrades ou des courses, soit les curieux, soit les connaisseurs, ce fin diseur avait toujours une anecdote délicieuse ou croustillante pour étayer ses arguments. Quitte à faire preuve, (mais pas souvent), d’un peu de mauvaise foi ! Amoureux de la nature, il consacrait ses trop rares moments de loisir à sa famille bien sûr, mais aussi à ses deux autres passions : la pêche et la chasse. Ses amis chasseurs doivent d’ailleurs organiser prochainement une manifestation-souvenir.

Au revoir, Marcel !

Et puis, le jour de Noël 97, cet homme qui avait bourlingué dans tous les plans de Provence et Languedoc nous a tiré sa révérence sans bruit, chez lui, dans les bras de son épouse qui l’aura assisté jusqu’au bout.
Marcel, nous ne te verrons plus fouler le sable de nos arènes, tête découverte, un bouquet sur les bras récompensant la prestation d’un de "tes" chers cocardiers. Mais le 18 juin, dans le Plan de Marsillargues que tu aimais tant, "parce qu’il protège les taureaux", comme tu te plaisais à le dire, nul doute que nombreux seront tes Amis, venus te rendre un nouvel hommage.

Ainsi, grâce à cette plaque, juste sous la présidence de course, tu seras toujours parmi nous, face à cette race de taureaux noirs que tu aimais tant. Et cette place, nul autre que toi ne la méritait autant.

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Juste avant de tourner vers "Le Mazet de La Palus"

Avec Goya et Bagheera à Marsillargues