Ces groupements entrèrent un jour en contact, ainsi fut créée la « Fédération des Sociétés Taurines de France et d’Algérie », dont le siège est annuellement transféré à Arles, Béziers, Sète, Nimes ou Marseille, à la suite d’un congrès où l’on discute des modifications à apporter à l’organisation des corridas, du choix des "toros", dont on exige la caste et la belle présentation, du renom et de la classe des matadors, du nombre de chevaux des picadors et de leur résistance. Il est souvent aussi question de la prétention des aficionados à faire réserver de très bonnes places à l’ombre, sans se bousculer ni payer le prix fort.
Bien avant la présence des toreros espagnols, les Languedociens avaient créé ce terme et ils continuent de s’en servir.
Le réel amateur de courses préfèrera une belle course libre, une course à la Provençale bien montée, avec des taureaux cocardiers de grande réputation, à une mise à mort où trop d’aléas font qu’elle n’est pas toujours irréprochable.
Rien n’est nouveau d’ailleurs, sous le soleil : jadis nous n’avions que de simples mises à mort dans Arles, sans matadors espagnols, ni picadors.
Les Arlésiens agiles et adroits, souples et lestes en même temps, passaient devant le taureau, le piquait d’abord de bout de cannes acérées, puis, à la rencontre, le lardaient quelques fois de coup de poignard au grand dam du propriétaire et sous la réprobation générale qui blâmaient cette barbarie. Le fait a été établi par l’érudit chartiste F. Benoit en compulsant les archives qui sont confiées à sa garde.
L’amour des Arlésiens et leurs connaissances en tauromachie partent donc de loin.
Les courses avaient lieu sur l’actuelle place du Maréchal Pétain, Catherine de Médicis assista à l’une d’elles du balcon de l’archevêché.
Quant à la course libre, elle fut longtemps dédaignée et délaissée comme parente pauvre et mal vêtue de la corrida. Et pourtant, c’est par celle-là qu’on pouvait plus tard arriver à aimer celle-ci.
En 1937, à Arles, un premier congrès des Sociétés Taurines posa l’assise d’une organisation rationnelle de la course libre. A Châteaurenard en 1938 et à Beaucaire en 1939, on élabora un règlement très acceptable. Le désastre de nos armées en interrompit l’application.
Il faut maintenant tout remettre en chantier, augmenter encore l’éclat et la perfection de ces courses qui ne sont pas seulement la fête du courage, de l’habileté, de la souplesse, mais une véritable école d’énergie, qui produit chaque année de nouveaux razeteurs. La race n’est donc pas près de s’éteindre.
Tous, certes, ne deviennent pas de grands « as », mais tous aspirent à le devenir. Et parfois le plus humble accomplit des prouesses.
Car il y a des gens de toutes professions parmi eux, des débardeurs, des coltineurs, des maçons, des cheminots. On y a même vu des fils de famille et qui ne le cédaient ni en audace, ni en habileté à ceux que la foule a l’habitude d’applaudir. Il y a une trentaine d’année, par exemple, vivait à Nîmes, une veuve de fonctionnaire dont le fils était élève au lycée. Le jeune étudiant devint un fervent de la tauromachie, fréquenta assidûment les arènes et s’improvisa un jour toréador.
Il fonda une « Quadrilla » et affronta les taureaux. Mais, négligeant ses études, il fut puni un dimanche et privé de sortir.
Le surveillant général qui le voyait se morfondre dans la cour, tenta de lui faire de la morale.

  • "Vous ne seriez pas enfermé, aujourd’hui, si vous aviez un peu travaillé, lui déclara-t- il" !
  • " Et pourtant je voudrais bien sortir ! répondit le jeune homme. J’ai un extrême besoin de sortir".
  • "Voyez-vous çà ! Eh ! bien, ce sera pour une autre fois, mon ami".
  • "Je vous en supplie Monsieur".
  • "Ah ! Je sais pourquoi vous voulez votre liberté ! C’est pour aller aux arènes voir le torero Plumeta, dont on parle tant ? Rien à faire ! Mais je vais y aller, moi, et je vous dirai demain comment ça s’est passé".
  • "Si je ne sors pas d’ici, vous ne verrez pas Plumeta, ça je vous en réponds".
  • "Tiens ! Et pourquoi ?".
  • "Parce que Plumeta c’est moi !"
    Stupéfaction du surveillant. Après quelques mots d’explication, liberté fut donnée au jeune torero, qui arriva en courant aux arènes, ou déjà ses amis s’impatientaient.
    Mais jamais secret n’est bien gardé. Les promesses de Plumeta furent connues et commentées ; on voulu savoir qui cachait ce pseudonyme et l’on apprit que c’était Léonce André.
    Sa mère éplorée fit tout pour qu’il renonçât au dangereux métier du toreo et à certaines fréquentations, peu reluisantes, de la piste.
    Mais telle était sa passion qu’il dut, pour la surmonter, s’éloigner du pays taurin. Il s’engagea dans la coloniale, vécut longtemps à Madagascar et mourut au service de la France au début de la grande guerre avec les galons de commandant, à la tète de son régiment.
    Un autre jeune homme, d’Arles celui-là, faisait aussi le désespoir des siens. Il courait tous les dimanches d’été dans les plans et arènes des villages voisins et partout on le voyait, cape en main, affronter taureaux et vaches.
    Les menaces succédant aux observations, le jeune Fontanier demanda qu’on lui laissât un mois pour prendre une détermination.
  • "Père, déclara t-il ensuite, au jour dit, accompagne moi jusqu’à la caserne".
    Comme Plumeta il contracta un engagement dans le Nord-Africain. Après son service, devint un excellent fonctionnaire. Il est à l’heure actuelle en pleine brousse aux confins du Dahomey.
    Il y eu de très brillants raseteurs, car le raset est tout un art. Il y a une façon d’aborder certains taureaux, d’autres qu’il ne faut citer que de telle ou telle manière.
    Combien y a-t-il de razeteurs aujourd’hui ? Une trentaine environ groupés en amicale avec : Boncoeur, Eyraud, Hugues, Allègre, Paulet, Arnaud, Azaïs, et Rey, en tète et un nouveau venu de grande classe, cette année Fidani. Beaucaire a été de tous temps la pépinière des meilleurs ; puis viennent Arles, Nimes, Lunel, Vauvert, et quelques villages du Gard.
    Les « as » s’associent généralement et font équipe à deux ou trois. Des coalitions se forment, les plus acharnés affrontent n’importe quel taureau et ne laissent aux autres ni le passage, ni le temps de bénéficier d’un instant propice. C’est une « bourre » perpétuelle dont il faut, en piste, tirer profit.
    Allez opposer un règlement ou faire respecter une formule à cette meute déchaînée ? Nous ne saurions trop les blâmer, toutefois, car le public est plus exigeant qu’eux encore, les aficionados surtout, qui veulent des taureaux redoutables et abordables seulement, parfois, par deux ou trois grandes vedettes, des taureaux de poids, farouches, vifs, coureurs, prompts à la riposte et aux coups de cornes violents.
    Les razeteurs font donc un dur labeur, un dangereux travail, qui n’est un métier ni reconnu, ni suffisamment rétribué. Car qui n’enlève pas de rubans n’a rien. Ils courent des kilomètres durant sus aux taureaux, poursuivis, leur échappent difficilement, n’évitent parfois que par miracle un terrible châtiment, et ne sont pas toujours récompensés de ces offres opiniâtres, pleins de cruels aléas, et qui méritent bien, nous semble t-il une rémunération un peu lucrative.
    Souvent lazzis et quolibets, sont tout ce que certains on pu récolter dans l’après-midi et pourtant ils ont risqué leur vie.
    Nous partons ici de ce principe que sans razeteurs de métier, il n’est pas de course agréable. L’entente doit donc être possible, si chacun y apporte sa contribution.
    Il avait été décidé, pour éviter certains abus, d’établir un calendrier taurin, où chaque plaza aurait ses dimanches de grandes courses ou courses royales. La parole est maintenant aux organisateurs, qui ne se disputerons pas trop, espérons-le, les meilleures dates, de Pâques à Pentecôte, puis de septembre en octobre. Je crois qu’avec un peu de bonne volonté, manadiers, organisateurs et razeteurs pourraient arriver à une entente parfaite.
    Déjà de grandes journées de rénovation de la course libre furent organisées par les soins de la Fédération des Sociétés Taurine, en Arles le 26 mars 1936 et à Nîmes le 3 mai de la même année. Déjà aussi, le comité des fêtes d’Arles a inauguré la série de la « Cocarde d’Or », qu’un succès croissant a élevée au zénith du firmament taurin.
    La « Cocarde d’Or » on en parlait, naguère, longtemps avant quelle eût lieu et longtemps encore après. Elle a été gagnée tour à tour par Granito, Margaillan, Rey, Azaïs, Rossignol, Boncoeur qui affrontèrent les plus terribles taureaux de Provence et du Languedoc. On la décerne au razeteur qui a récolté le plus grand nombre de points en enlevant cocarde et glands, et le montant des primes atteint souvent de mille à douze cents francs par taureau.
    La journée de la Cocarde d’Or est un régal pour les aficionados, qui connaissent les taureaux, leurs qualités et leurs défauts, leurs performances, et qui discutent des appels et des razets en vrais techniciens. Faut-il expliquer ce qu’est un razet ? Le mot dit la chose. L‘homme appelle la bête, court à sa rencontre et, passant en vitesse au ras de la tête, cherche à la dépouiller d’un coup, des attributs de son front.
    Tout aficionados est instruit des diverses façons de raseter, ou doit l’être. Pourquoi d’ailleurs, ne créerait-on pas un diplôme d’aficionado par les associations taurines ? Le néophyte serait instruit, écouterait les plus anciens, assisterait, par la suite, à des courses et donnerait, verbalement ou par écrit, au retour, un commentaire devant un aréopage de « clubins » compétents qui lui décerneraient alors, s’il s’en montrait digne, le diplôme d’aficionado.
    L’afición s’affirmerait encore davantage ainsi et remplirait son rôle qui est de conserver et défendre nos us et coutumes, en connaissance de cause.
    Après Arles, et sa Cocarde d’Or, d’autres ont lancé « le gland d’or » et une série de courses similaires qui redonnèrent un magnifique élan à la course libre.
    L’Académie d’Arles suggère aujourd’hui « le crochet d’or », à l’honneur de l’outil indispensable au razeteur, qui lui permet de couper les ficelles et de s’approprier les rubans.
    Tous les points accumulés au cours d’une année, par les razeteurs dans toutes les plazas de villes ou villages du pays d’Arles seraient totalisés en fin de saison, et, à l’ultime et dernière manifestation taurine, aux arènes d’Arles par exemple, le « crochet d’or » serait solennellement remis au lauréat. Cette journée se déroulerait sous le patronage de l’Académie d’Arles elle-même, qui ferait ainsi œuvre de protection, d’encouragement et de maintenance de nos ancestrales courses de taureaux.
    Et petit à petit, on verrait les modifications à apporter au règlement en vigueur pour présenter la course provençale sous un aspect impeccable tant au point de vue de l’organisation, de la tenue des razeteurs en piste, que de la présentation des taureaux.
    Ainsi le jeu qui nous est si cher continuerait de former notre jeunesse provençale 0 la hardiesse, au jugement, au coup d’œil et à l’agilité.