La Sóuvagino (6) : "LOU SECRÈT DIS ANGUIELO".
LE SECRET DES ANGUILLES.
Kélélé est un cheval américain acheté et marqué du fer d’une manade où on l’appelle L’Américain. Faisant toujours référence à son pays, hautain, méprisant, il se moque de tout ce qui est camarguais, ce qui le fait détester des animaux du cru. Il prend un jour une anguille pour un serpent. Outrée, celle-ci se venge en lui faisant croire qu’il peut retourner en Amérique avec les anguilles qui vont pondre aux Sargasses. Il lui suffit d’emprunter avec elles un passage dont l’entrée se trouve dans un trou d’eau de l’Etang du Landre… Kélélé hésite mais finit par croire au secret des anguilles…
E coume se sarravo dóu trau pèr s’acoustuma à uno idèio à prèndre à l’avanço sis amiro, ausiguè tourna-mai uno pichoto voues d’anguielo que bresihavo :
— Se vai parti. L’ouro buto. Vesès l’oumbro de la gacholo ? Entre que la cimo vèndra pica sus lou sablas de l’orle, cabussarai au mitan, e, freto vers l’Americo !
— O, freto vers l’Americo ! faguè Kélélé estrambourda !
E tant-lèu que l’oumbro de la gacholo venguè emé sa fino cimo frusta l’orle dóu sablas, en vesènt l’esquinasso d’un pougau qu’en cabussant, negrejajavo au mitan dóu trau, Kékélé prenguè vanc e en tres cambado boumbiguè dins l’aigo que regisclè em’un chamatan de trounadisso.
Entre pica se sentè mau. Avié engouli un lavas d’aigo salabrouso e tousco, mai voulountous, s’èro aleissa retoumba pèr miés endeveni, que se lou cresié, la famouso mancho. Pamens, desvaria en sentènt que s’estoufavo, se boutè à arpeja li quatre pèd. E, de l’esperfors, en se vesènt remounta sus l’aigo, enlourdi, espavourdi, en boufant lou trouble di narro, se boutè à nada pèr se manteni, en bramant emé sa voues de cavalino :
— D’ajudo, à iéu, que m’ennègue !
Touto la manado , à soun crid, s’èro acampado. Estounado sus lou cop d’ausi tau cabus, li bèstio à-de-rèng avien tóuti segui la grosso Nouno e aro viroulavon en endihant alentour dóu trau, en regardant despountentado l’American perdu que bataiavo.
…
Urusamen qu’en remarcant de liuen aquéu tarabast, dous cavalié lèu-lèu s’avancèro en troutant e emé proun peno, feniguèron pèr adurre l’American sus lou ferme en lou póutirant pèr lou coui emé lou nous d’un seden…
— Aquéu grand pedas, emé touto sa voues venguè lou baile en s’acaminant, entre avé plega sa cordo embugado, aquéu grand pedas, jamai nous n’en fara d’autre. Pèr dessus lou marcat qu’es cascarelet e que dins lou travai es di paure, Un d’aquest quatre matin faudra que lou chabigue au marchand de saussissot.
Et comme il s’approchait du trou pour se préparer à mettre son projet à exécution, il entendit de nouveau une petite voix d’anguille qui gazouillait :
— On va partir. L’heure approche. Tu vois l’ombre du grand tamaris ? Dès que la cime viendra toucher le sable du bord, je plongerai et, vite, en Amérique !
— Oui, vite, en Amérique ! fit Kélélé enthousiasmé.
Et sitôt que l’ombre du grand tamaris vint frôler de sa fine cime le bord du sable, voyant au milieu du trou le dos noir d’une grosse anguille qui avait plongé, Kélélé prit son élan et en trois enjambées bondit dans l’eau qui éclaboussa dans un bruit de tonnerre.
Dès toucher l’eau il se sentit mal. Il avait avalé le breuvage insipide de l’eau sablonneuse et épaisse, mais, volontaire, il s’était laissé couler pour mieux trouver, comme il le croyait, le fameux passage. Affolé en sentant qu’il s’étouffait, il se mit à se débattre des quatre fers. D’un grand effort, se voyant remonter à la surface, alourdi, apeuré, soufflant l’eau trouble par les naseaux, il se mit à nager pour se maintenir, en criant de sa voix chevaline :
— A l’aide, à moi, je me noie !
A son cri, toute la manade s’était réunie. Etonnée sur le coup d’entendre un tel chahut, les bêtes avaient suivi à la file la grosse Nouno et maintenant tournaient en hennissant autour du trou, regardant, impuissantes, l’Américain perdu qui se débattait.
…
Heureusement qu’en remarquant de loin ce vacarme, deux cavaliers s’avancèrent rapidement au trot. Avec beaucoup de mal ils finirent par amener l’Americain sur la terre ferme en le tirant par le cou avec le noeud d’un seden…
— Ce grand nigaud, dit le baile d’une voix forte en s’acheminant dès qu’il eut plié sa corde humide, ce grand nigaud ne nous n’en fera pas d’autres. Par dessus le marché il est léger d’esprit et au travail il ne vaut pas grand chose. Un de ces quatre matins il faudra que je le vende au marchand de saucissons.