La bourgine 9666
Article écrit par TAMARISSO pour Le Toril N° 102 du 07/2/1925.
"En relisant mon précédent article j’ai été surpris d’y trouver tant de termes techniques, ennuyeux souvent, intéressant rarement le lecteur.
Je m’en excuse. Ayant pris la rubrique provençale du « toril », en fin de temporada, j’ai voulu profiter de ces mois , trop longs hélas, où les aficionados rêvent du passé, pour indiquer à quels souvenirs, Provençaux et Languedociens, doivent leur attachement au taureau de Camargue, ou mieux encore, à la tauromachie." (...)
Je crois avoir suffisamment montré, l’autre jour, que l’atavisme est la grande raison de la continuation unilatérale de ce sentiment. La suite naturelle des jeux du taureau depuis l’antiquité jusqu’au siècle présent n’en est-elle pas la preuve suffisante ? Pour nous, le spectacle taurin est le lien devant quoi tout s’efface, une véritable sympathie unissant spectateurs et acteurs, nul ne saurait demeurer indifférent.
Cependant, j’ai voulu consacrer tout un article sur les courses de taureaux à la corde. Car nous retrouvons ce jeu , vieux de plusieurs siècles, se pratiquant toujours de la même façon.
Précédent les cérémonies religieuses, les sacrifices, toujours nous retrouvons la course de taureau dans les rues du pays.
Pour amener des terres sauvages de la Camargue, jusqu’à la crypte de l’église des Saintes, sanctuaire du dieu Mithra, aujourd’hui crypte de Sainte Sara, on prenait les taureaux au lasso. Le taureau courait tous les jours, à l’heure ou le soleil monte lentement sur le Vaccarès et le soir quand il descend derrière la mer bleue.
Pendant les 3e et 4e siècles de notre ère, on faisait courir à la corde les taureaux destinés aux cérémonies du taurobole. Après que la course avait eu lieu dans toutes les avenues du village, on amenait le taureau sur une grosse pierre percée de trous. Sous la pierre se trouvait une fosse et dans cette fosse, le prêtre, sujet de l’expiation, descendait. Il recevait alors sur son visage et son corps le sang du taureau qu’on égorgeait.
Avant le sacrifice le taureau avait dû parcourir la ville et sans cette course à la bourgine les anciens disaient que le sang du taureau était un poison et ne purifiait pas.
Qu’est-ce que la bourgine ? Tous ceux qui vivent en Provence surtout mais en bas-Languedoc aussi, le savent bien. Mais combien sont nombreux les aficionados qui n’ont jamais vu ce jeu ?
Un jour que je traversait le petit village de Marsillargues, je me trouvais au coin d’une rue, face à face avec un taureau qui était poursuivi par toute la population. Heureusement que la jeunesse tirait bon sur la corde sans quoi j’allais être bousculé à la grande joie des enfants qui ne manquent jamais d’escorter la bourgine.
Les manadiers qui ont des taureaux ne rendant pas en course, qui dans le pâturage ne restent pas avec la manade, qui viennent sur le cheval ou ont d’autres défauts, vendent ces mauvais produits à la jeunesse qui les fait courir à la bourgine . On attache aux cornes de la brute une forte corde, et, solidement tenu des deux cotés, le taureau doit passer dans toutes les rues. Tout le monde est de la fête. Le taureau qui bondit quelquefois, bouscule sans grand mal traînards et retardataires, et ce sont des cris, des rires, des clameurs joyeuses qui se répètent pendant toute l’après midi. Ce jeu n’a, rien de pervers, ni de vicieux comme ont voulu le dire nombre d’écrivains, qui préfèrent sans doute la boxe ou les combats de coqs.
TAMARISSO