Cependant, malgré la réparation un peu tardive d’une injustice qui frappa toute une région dans son honneur et dans sa dignité, nombreuses et irrémédiables furent les conséquences qui entre-temps découlèrent de ce malheureux épisode de guerre.

Car sitôt que fut connue, en Moselle, la prétendue lâcheté des méridionaux, les populations des pays traversés par eux n’eurent de cesse de les harceler de leur vindicte et les poursuivre de leur méchanceté.

Les femmes refusaient de leur donner à boire et à manger ; les hommes les insultaient ; les enfants les raillaient et leur jetaient des pierres ; jusqu’à certains médecins français même, qui prirent véritablement plaisir à taillader, sans les anesthésier, les chairs déchirées des soldats du XV° qui leur tombaient entre les mains.

L’humiliation fut à ce point si douloureusement ressentie en Provence, qu’elle amena nombre de provençaux à s’engager pour laver l’offense faite aux leurs.
Entre-autres, Frédéric Chevillon, député de Marseille et son frère Maurice, qui enrôlés des tout premiers pour partir au combat n’en revinrent jamais.

En définitive, lorsque l’on veut bien encore se poser la question, pourquoi un tel affront, une telle injure ?

Nous l’avons déjà dit : pour porter atteinte à Clemenceau, le " tombeur " de ministères, le Tigre, le futur " Père la Victoire ".
A moins que... oui, à moins peut-être — mais ce serait là purement scandaleux — que ce ne fut tout simplement par ostracisme.
Qui pourra jamais dire...

De toute façon, et quelle que soit l’hypothèse véritable qui motiva pareille ignominie, c’est en vain qu’a été porté pareil coup de Jarnac.
Le tollé, on l’imagine, fut immense en Provence à l’annonce de la trahison dont on accusait ses enfants, et les plus éminentes personnalités de l’époque firent front toutes ensemble au coup bas si traîtreusement asséné.

Ah ! que n’eût pas dit Mistral mort depuis quelques mois à peine.
Que n’eût pas écrit ce magicien de la parole, ce prince de l’écriture, que n’eût-il pas écrit pour la défense de son petit peuple provençal !

Mais un autre grand poète de chez nous, Joseph d’ Arbaud, prit immédiatement fait et cause pour ses compatriotes offensés, et adressa le 27 août 1914 au sénateur Gervais une lettre virulente où il lui dit vertement n’avoir pas réussi par sa méprisable manœuvre à humilier la Provence, ce noble pays qui combattit autrefois les Maures et les Barbares, défit les troupes de Charles-Quint, et partit, à la suite de Bonaparte (dont les régiments étaient à cette époque presque exclusivement composés de méridionaux) conquérir l’Italie.

Et notre poète eut raison, indigné qu’il était d’une telle conduite, de conclure sa lettre en ces termes sans appel :
" Vous avez commis vis-à-vis de la Provence une lâcheté.
C’est ici l’opinion de tous, le sentiment de tout un peuple ; je suis fier de m’en faire l’interprète, de les exprimer dans toute leur rudesse exacte et leur dure vérité
".