Un vèspre de l’estiéu, lou Vibre, dins lou segounau, rousigavo la rusco d’un sause. Se despechavo, cracra, qu’avié fam, que la rusco, à soun biais, èro goustouso, e pièi que lou Vibre es d’uno meno que, de long, an pòu d’èstre pres. E, d’efèt, ausiguè, tout d’uno, un gros tarabast de bato que trapejavon, de fuiun que se frisavo, de broundo que cracinavon em’un roundina e de voues renouso que bramavon. Ero li biòu de l’enviroun que se venien abéura au Rose.
Li biòu de manado, en Camargo, acò se saup, es uno raço à despart, un bestiau de sang fèr que jamai coutrejo, que jamai s’atalo i carreto, que jamai s’es leissa maneja pèr l’ome e que si vaco dounon ges de la, franc, coume es juste à si vedeloun mascara, alisca coume de ratoun e lèri coume de bicheto.
Bandi en batènt tout l’an au large, pèr li claus e li palun que se ié douno, es i courso, en coumbatènt dins lou round, davans tout un pople en aio, que li biòu fan counèisse sa manado e provon la voio de soun sang. Es acò la lèi dóu Miejour, qu’es ansin, de segur de long-tèms.
Adounc, en ausènt veni li biòu, lou Vibre, lèu-lèu, s’èro escoundu, maugrat que pèr éu, n’aguèsse rèn à cregne d’aquéli bestiasso. E, amata sout lis escarpiho de bos mort e lou rebaladis de l’aigo qu’éu amoulouno pèr lou tapa, à la bouco de soun trau, escoutavo brama la manado :
— "Meuh ! Beuh ! Mah ! Ha-ouh ! Ha-ouh ! Ha-ouh ! Beuh !".
E, d’uno escleto, espinchavo li biòu, qu’abéura, restavon aqui en badant sus l’orle emé li pèd de davans planta dins la limo, en aussant lou mourre, qu’à fiéu, degoutavo la bono aigo, dóu tèms qu’en chamant tetado pèr la niue, chasque vedèu sounavo sa maire.

Un soir d’été, le Castor, au bord du Rhône, rongeait l’écorce d’un saule. Crac-crac, il se dépêchait parce qu’il avait faim, qu’il trouvait l’écorce goûteuse mais aussi parce que le Castor appartient à une espèce en permanence sur le qui-vive. Et, de fait, il entendit soudain un vacarme de sabots qui martelaient le sol, de feuillage qui se froissait, de branches qui craquaient dans un grognement et des voix qui hurlaient. C’était les taureaux des environs qui venaient s’abreuver au Rhône.
Les taureaux des manades en Camargue, cela se sait, sont d’une race à part. C’est un bestiau au sang sauvage qui ne laboure jamais, que l’on n’attèle jamais aux charrettes, qui ne s’est jamais laissé manier par l’homme et dont les vaches ne donnent pas de lait, sauf, comme il est normal, à leurs veaux noirs, au pelage lisse comme celui des rats et lestes comme des biches.
Lâchés dans les grands espaces toute l’année, à travers taillis et marais, c’est durant les courses, en combattant dans le rond devant tout un peuple en émoi que les taureaux font connaître leur manade et prouvent la vaillance de leur sang. Telle est la loi du Midi qui est ainsi certainement depuis longtemps.
Donc, en entendant venir les taureaux, le Castor s’était vite caché, malgré qu’il n’ait rien à craindre de ces grosses bêtes. Tapi à l’entrée de son trou, sous les copeaux de bois mort et le tas de ce que charrie l’eau qu’il accumule pour la cacher, il écoutait bramer la manade :
— "Meuh ! Beuh ! Mah ! Ha-ouh ! Ha-ouh ! Ha-ouh ! Beuh !".
Et par une fente, il épiait les taureaux qui, désaltérés, restaient là, au bord, bouche ouverte, sabots de devant plantés dans la boue, haussant le mufle d’où dégoulinaient des filets de la bonne eau pendant que, réclamant la tétée pour la nuit, chaque veau appelait sa mère.

...

Le castor et d’autres animaux vont assister à la révolte des taureaux. Ceux-ci refusent d’obéir à leur "pelot" et finissent par le tuer, retrouvant ainsi quelques temps leur liberté. Le fils du manadier, aidé de son baile, reprendra la manade en mains en abattant les "meneurs" (des tau).