UN GIBIER RUSÉ

« Quand la perdrix voit ses petits en danger
Et n’ayant qu’une plume nouvelle... »

Cette fable de La Fontaine a immortalisé et universalisé la ruse légendaire inspirée par l’amour maternel à la perdrix pour sauver sa couvée.
C’est là, d’ailleurs, un fait d’observation courante.
La mère pour tromper l’ennemi, s’envole à découvert tandis que les perdreaux [1] s’éloignent en sens contraire, au ras du sol, ou se terrent, immobiles.

Ruse et prudence sont les qualités caractéristiques les plus frappantes chez cet oiseau.

Un vieux mâle veille toujours, assure-t-on, sur la compagnie au cours de ses déplacements ou tandis qu’elle mange.
Comme le lièvre-sorcier, ce mâle, que l’on nomme Garroun en provençal, peut, si l’on en croit les récits fabuleux, se jouer des chasseurs et les égarer en se faisant poursuivre. Il sait simuler une blessure ou une fatigue extrême qui laisse espérer, à son poursuivant, une proche capture mais, à l’instant d’être saisi, notre perdreau disparaît comme par enchantement.
Enchantement véritable ou simple, mais astucieuse, ruse ?...

Pline nous conte - et nombre de chasseurs après lui - que souvent, pour se dérober aux regards, la perdrix se couche à la renverse dans un sillon et se couvre d’une motte de terre qu’elle tient dans ses pattes !

La perdrix sait aussi nous leurrer en altérant son chant de manière à ce qu’il paraisse venir de la direction opposée à celle où elle se trouve.
Ce que consigne un dicton !
« A d’acò di perdris, canto à soun countràri »
(Il ressemble aux perdrix, il chante où il n’est pas).

Ce chant du perdreau, si particulier, est celui que les jeunes garçons s’attachent surtout, et parviennent le mieux, à imiter.
Ils enflent, pour cela, leurs joues, placent devant leur bouche, leur main gauche dont les doigts repliés forment une sorte de tuyau par lequel passera, reproduisant l’appel de l’oiseau, l’air expulsé par saccades, en se frappant la joue droite de petits coups de poing rythmés.
Les chasseurs à l’affût, ne dédaignent pas de recourir eux-mêmes à ce mode d’appeau primitif. Car l’homme, lui aussi, a recours à la ruse pour duper ce gibier si rusé.

Perdrix rouge

 LA PERDRIX ET LE RENARD

Le chasseur n’est pas le seul ennemi que la perdrix ait à redouter. Le renard est très friand de sa chair et de ses œufs.
Pour le déjouer, on dit que l’oiseau sait retenir son odeur.
On dit aussi qu’il fait son nid aux abords des chemins pour le protéger de ce prédateur, sachant que celui-ci évite les lieux fréquentés par les hommes.

Un amusant fabliau a été conservé en Provence où l’on voit le renard moqué par la perdrix, le voici :

Un jour le Renard rencontra la Perdrix. Elle était belle et paraissait tendre à croquer. Le Renard lui dit :

  • Bonjour, Perdrix !... Sais-tu ce qu’on m’a dit ?
  • Que t’a-t-on dit, Renard ?
  • On m’a dit que, pour dormir, tu pouvais mettre, si tu voulais, ta tête sous ton aile.
  • C’est vrai, dit la Perdrix.
  • Ce n’est pas possible ! dit le Renard
  • Mais si, affirma la Perdrix. Tiens ! regarde !... Elle mit sa tête sous aile.
    Aussitôt le Renard fit un bond, la prit dans sa gueule, et l’emporta.
    Tandis qu’il courait vers son terrier, la perdrix aux dents, le Renard rencontra des femmes qui revenaient de la fontaine.
    Les femmes se mirent à crier :
  • Regardez !... Le Renard qui emporte une poule. La Perdrix dit au Renard :
  • Dis-leur que ce n’est pas une poule que tu emportes mais une perdrix. Le Renard cria aux femmes :
  • Ce n’est pas une poule que j’emporte, c’est une perdrix !
    Mais il avait dû, pour parler, desserrer ses mâchoires et la Perdrix s’échappa. Elle alla se percher sur un arbre.
    Et la Perdrix lui dit :
  • Il est aussi stupide de vouloir dormir quand on n’a pas sommeil.
Perdrix grise

 LA TETE DU PERDREAU

Le nom de perdreau est, le plus souvent, substitué à celui de perdrix - et le fait est presque constant en Provence où l’on parle uniquement de perdigau et non de perdris .

C’est qu’en effet cet oiseau est avant tout un gibier et qu’il importe, pour qu’il soit excellent, de prendre jeune, à l’état de perdreau, c’est-à-dire de jeune perdrix de l’année.
Le perdreau sera devenu perdrix en octobre, ainsi que le consigne le dicton :
« A la Saint-Rémy tous perdreaux sont perdrix ».

Le nom d’ Avousten (« du mois d’août ») est donné aux pouillots [2] nés d’une deuxième couvée. Celui de Garroun aux vieux mâles échappés aux septembrisades [3] précédentes.

Comme pour le lièvre, il existe un interdit concernant la tête de ce gibier.
On ne doit pas - et les femmes plus particulièrement doivent respecter ce tabou - consommer la tête de ces animaux.
Un enfant naîtrait avec une déformation du palais, le bec-de-lièvre, ou la lèvre fendue, si sa mère avait mangé la tête d’un lièvre.
La femme serait stérile qui consommerait la tête d’une perdrix.

L’interdit frappant la perdrix serait dû, selon la tradition populaire, au fait, rapporté par les Evangiles apocryphes [4], qu’elle fit découvrir,, par son chant, le lieu où s’était réfugiée la Vierge, au cours de la fuite en Egypte :

Uno perdris qu’estarpiavo

Pèr n’en gaubeja de blad

Proche la Santo Vierge

Elo s’es messo à canta.

Maudi sié toun bavardage

Ta tèsto Lou pagara !

Une perdrix qui grattait

pour remuer du blé

près de la Sainte Vierge

s’est mise à chanter.

Maudit soit ton bavardage

Ta tête le paiera !

Cet interdit, comme celui concernant la tête de lièvre, découle d’une donnée mythique qui se retrouve sur tout le pourtour de la méditerranée.
Lièvres et perdrix y sont les supports des génies-protecteurs du canton de terroir qu’ils hantent.

M. Jean Servier, dans son ouvrage « Les portes de l’année » (R. Laffont, edit. 1962 p. 61), note que « dans les endroits hantés, les bois sacrés ou près de certaines sources où il est interdit de chasser, les génies protecteurs du lieu n’apparaissent au chasseur imprudent que lorsque l’animal - perdrix ou lièvre - a été frappé, c’est-à-dire lorsque son sang a coulé ».

Ce sang versé est la part du génie-protecteur et, lors du repas communiel des chasseurs qui suit ce sacrifice, la tête elle aussi doit être réservée puisque en elle réside le principe vital signe de résurrection du
gibier qui appartient au génie du lieu lequel, en retour, assurera la fécondité et l’abondance aux chasseurs et à leurs familles.

Tête de perdreau

 UN CHARME D'AMOUR

Pour les peuples méditerranéens, la perdrix est un symbole de grâce et d’amour.
Les mères provençales cajolent leurs enfants en leur donnant son nom : «  Moun bèu perdigau !... Ma perdigaleto...  »
Mon beau perdreau !... ma petite perdrix....

Chez les Kabyles (Jean Servier, op. cit. p. 155), le nom de perdrix désigne la bien-aimée, comme l’amant est appelé « chasseur de perdrix ».
Manger des œufs de perdrix au début du printemps est un régime destiné à assurer la beauté physique.
C’est aussi un charme d’amour.
On dit, en Provence, d’un homme qui va à un rendez-vous d’amour, plus ou moins licite : «  Vai i perdigau  », « il va à la chasse aux perdreaux ».
Cette association de la perdrix et de l’amour ne peut surprendre si l’on accorde crédit aux fables qui courent sur le comportement sexuel de cet oiseau.

Couple de perdrix

On distingue le mâle de la femelle à la présence du "fer à cheval", tâche rouille à deux barres transversales visible sur la poitrine du mâle

 DE CURIEUSES MOEURS

Pline nous dit que les mâles, chez les perdreaux, « tourmentés du besoin d’amour, cassent les oeufs pour empêcher l’incubation. Alors privés de femelles, ils se battent entre eux, et le vainqueur, dit-on, assouvit sa passion sur le vaincu. Trogus écrit que les cailles font de même et quelquefois aussi les coqs ». (Hist. Nat. X. LI.).

Ce que répète Nostradamus, dans son Interprétation des Hieroglyphes de Horapollo (p. 143) :
« Signifier voulant la bougrerie...
Deux perdrix masles paignoient par aparence
... »

Ce puissant besoin génétique se retrouve chez la femelle qui, très jalouse, va s’offrir aux désirs du mâle s’il approche d’une autre femelle.

Chez les Anciens, et cette croyance a persisté, les œufs clairs étaient considérés comme étant produits par les femelles privées de mâles et s’excitant entre elles.
Les Grecs nommaient ces œufs hypénéniens.
On les nommait aussi zéphiriens parce qu’on les tenait également comme étant engendrés par le vent. Or, chez la perdrix, on tient pour assuré que les œufs, pourtant nombreux - de neuf à vingt -, ne sont jamais clairs.
C’est qu’en effet « si les femelles se trouvent sous le vent des mâles, l’air qui en vient suffit à les rendre fécondes : pendant ce temps on les voit tout enflammées, ouvrant le bec et tirant la langue. Elles conçoivent même lorsque les mâles passent au-dessus d’elles en volant : souvent il suffit qu’elles aient entendu leur voix« . (Pline Ibid.)

La croyance qui avait cours encore à la fin du XVII ème siècle qu’un malade ne saurait mourir s’il était couché sur un lit garni de plumes d’ailes de perdrix, tirait son fondement de cette puissance génétique exceptionnelle, gage de vitalité, attribuée à la perdrix.

[1Perdrix grise et perdrix rouge sont appelées « perdreaux  » quand elles ont moins d’un an, qu’elles soient mâles ou femelles.

[2Pouillot  : est le nom vernaculaire de cinquante-six espèces de petits passereaux insectivores appartenant à quatre genres. Ce terme dérive de l’ancien français poille, lui-même issu du latin vulgaire pullius et qui désignait la poule domestique ou un poussin1.

[3septembrisades : massacres de 2 au 5 septembre 1792 et par allusion, événements analogues.

[4apocryphes : Dont l’authenticité est douteuse ou niée.