VIII. La manade LAURENT.

Paul Laurent

Durant son association avec Henri Aubanel en 1944, Paul Laurent lui a acheté 25 de ses bêtes et acquis le domaine des Marquises.
A leur séparation en 1949, ce lot constitue l’embryon de sa propre manade auquel s’ajoutent des éléments achetés à Lafont, Blatière et Raynaud.

Avant de passer le relais, le fondateur investit son fils dans la manade dénommée "Paul et Henri Laurent".
Il s’éteint en 1989 et Henri* lui succède naturellement.
Après la sanction d’abattage total en 2005, c’est Patrick, le petit-fils du "Pape de la bouvine"* qui en 2009 reprend en mains la célèbre manade aux douze Biòu d’Or (devenus treize en 2018 avec Jupiter) sauvée par la génétique. [1]

1959 – Tigre
1960 – Tigre
1962 – Caraque
1965 – Loustic
1966 – Loustic
1967 – Loustic
1974 – Gardon
1976 – Goya
1985 – Fidelio
1987 – Filou
1990 – Banco
1997 – Rubis
2018 – Jupiter

Patrick et Henri

Les premiers "600"* sont sortis cette saison à Aigues-Vives, Marsillargues, Tarascon, Saint-Rémy...

(lire aussi l’article publié sur ce site : Entretien avec Patrick Laurent*)

.

.

Du haut de ses 90 ans, Henri Laurent raconte la création de sa manade :
(Source : https://news.dayfr.com/ )

"Du mas d’Assac aux Marquises

Mon père avait la passion pour la bouvine, les chevaux et les taureaux de Camargue.
Mais pendant la guerre, c’était compliqué de s’adonner pleinement à cette activité. Il faisait comme il pouvait. Il avait acheté un cheval qu’il avait amené chez un ami dans la Crau, Pierre Saurel, qu’on surnommait « le panard ».
Il a fait son apprentissage au gré de ses rencontres au mas de l’Étourneau, aux marais du Vigueirat entre Crau et Grand Rhône, à Mas Thibert, chez les Lescot et d’autres.

Et c’est comme ça qu’il a fait la connaissance de Justin Bonnafoux, qui était gardian à l’Étourneau et chez le Marquis de Baroncelli aux Saintes.

Un jour d’automne 1943, peu avant la mort du Marquis – il est décédé en décembre de la même année – Justin Bonnafoux qui assurait tout seul la charge de la manade a dû faire face à un accident avec des chevaux en pâturage.
Une porte restée ouverte, un piquet cassé ?
Toujours est-il que des chevaux sont sortis et sont allés en batifolant sur la petite voie de chemin de fer de la Camargue manger un peu d’herbe qui se faisait rare. C’était en hiver ou presque et je ne sais pas comment ils se sont débrouillés, ils n’ont pas entendu le train. Deux d’entre eux ont été happés par la machine et ont été blessés.

Grave ou pas grave, ils sont restés sur la voie de chemin de fer et Bonnafoux, désemparé, n’a pas vu d’autre solution que de faire appel à son ami Paul Laurent.
Il s’est rendu à la mairie, a téléphoné à mon père qui a dépêché son jeune voisin avec un cheval, une remorque – il n’y avait pas de véhicules à moteur en ce temps-là – et du fourrage pour les chevaux.

On était encore en pleine guerre et il n’y avait pas trop à manger.
On avait des brebis, quand on a des brebis, on a des agneaux et quand on a des agneaux, on a des gigots d’agneau. Mon père a donc récompensé le jeune homme pour ce service avec un gigot d’agneau bienvenu.
Et, comme on avait des vignes aussi, une bonbonne de vin a complété la rétribution.

Quelques mois ont passé, nous sommes en 1944, Henri Aubanel qui avait épousé la fille du Marquis et pris les rênes de la manade Santenco dans une période difficile a alors rencontré mon père et proposé de lui vendre un lot de vingt-cinq bêtes.

Cette transaction a constitué l’acte fondateur de la manade Laurent et le début d’une belle histoire. Mais au-delà des circonstances, se lancer dans une telle entreprise implique une volonté forte de réussir, un esprit d’initiative.
Des qualités dont Paul Laurent n’était pas dépourvu.

Son fils revient sur les traits de caractère qui ont déterminé sa réussite.

Mon père, agriculteur, fils d’agriculteur, cultivait des vignes, des oliviers, sur des parcelles morcelées, éloignées de sa maison à Beaucaire.
Il trouvait que faire tout les jours deux, trois kilomètres, quelquefois plus, avec le cheval, c’était une perte de temps. Et Paul Laurent, c’était quelqu’un qui ne voulait pas perdre de temps. Alors, il a dit : «  Je pars pour le service militaire mais au retour, si on n’achète pas un mas, je fais autre chose. »

Et c’est ainsi qu’ils se sont décidés et ont fait l’acquisition du mas d’Assac sur la route de Fourques à 3 km de Beaucaire.
Ils ont acheté deux chevaux, puis trois, puis quatre pour la culture de la vigne et un an après leur installation ont aménagé une bergerie dans un hangar, puis une deuxième et ont développé un élevage ovin.
Ils louaient également deux bergeries à la Magnanerie sur la route de Comps.
Quelques années plus tard, je me souviens, on avait 2 000 brebis et on allait faire l’estive au col du Lautaret à plus de 2 000 m d’altitude, pas loin du Galibier.

En 1946, mon père a eu l’opportunité d’acheter le domaine des Marquises, une propriété agricole de 500 hectares sur la commune de Salin-de-Giraud.
Il y a définitivement établi sa manade.

Henri Laurent, à bonne école

Henri Laurent a dix ans au moment de la création de la manade – il est né le 29 mars 1934. Il effectue sa scolarité à Beaucaire, à l’école Eugène Vigne. Il passe son certificat d’études, poursuit jusqu’au brevet. Mais déjà ne voit plus que par les chevaux et les taureaux. Il attend le jeudi comme le jour du Messie pour rejoindre Les Marquises.

À dix ans, j’étais dans la manade, je montais à cheval, j’ai commencé alors mon apprentissage.
Avec mon père, bien sûr, comme mentor.
Il m’expliquait tout patiemment. Il était très bien mais il ne fallait quand même pas lui raconter des histoires.

Pour les taureaux, il avait la vista et j’ai beaucoup appris de ses conseils avisés. Son implication dans le monde de la bouvine allait au-delà de la bonne marche de la manade.
Il avait la responsabilité d’une dizaine d’arènes dont Nîmes avec Ferdinand Aymé et Arles avec Pierre Pouly. Ce dernier ne s’intéressait qu’à la tauromachie espagnole ; pour la course camarguaise, c’est mon père qui faisait tout.

Arles, Nîmes, Beaucaire, Châteaurenard, Saint-Rémy de Provence, Les Saintes-Maries de la Mer, Le Grau du Roi (gérées par son fils Henri avec Jean–Claude Groul), Lunel, en association avec Lucien Chavon, Paul Laurent règne sur les plus importantes arènes de Provence et du Languedoc.
Il promeut en tête d’affiche le célèbre Carré d’As, formé par les raseteurs André Soler, la vedette du moment, Roger Pascal, Francis San Juan et François Canto.

En cette période d’après-guerre, la course camarguaise connait un regain d’attractivité extraordinaire.
Henri qui seconde son père dans la conduite de la manade et dans la gestion des arènes est au four et au moulin. En pleine saison, les journées sont bien remplies.

Je partais de Beaucaire à 6 heures du matin, je venais trier des taureaux à Marsillargues, où on pâturait l’été…
j’allais à la course, je mangeais avec les organisateurs, souvent le maire du village où se déroulait la fête et puis le soir, je repartais à Châteaurenard ou aux Saintes où nous organisions entre juillet et août des spectacles dans les arènes.

En 1952, c’est la création du Trophée taurin.
L’idée avancée par un journaliste du Provençal, Georges Thiel, a été proposée à Paul Laurent qui a apporté son expertise et assuré sa faisabilité. Avec le chroniqueur beaucairois, Marius Gardiol, alias « Mario », ils vont former le triumvirat de choc qui organisera le premier Trophée Taurin dont la finale se déroulera dans les arènes de Beaucaire.
Par la suite, la finale aura lieu en alternance dans les Arènes d’Arles et dans celles de Nîmes.

Le temps de la reconnaissance et des cocardiers-vedette

Côté taureaux, à la même époque, les cocardiers des Marquises commencent à se faire remarquer. Le sang du célèbre « Vovo  » de la manade Aubanel-Baroncelli, dont la carrière a été confiée à Paul Laurent, fait des merveilles.

En 1959, la manade Laurent reçoit pour la première fois la récompense suprême, le Biòu d’Or pour son cocardier Tigre, un fils de Vovo. Il remportera à nouveau le titre l’année suivante.

Au fil des ans, d’autres grands pensionnaires de l’élevage dont Loustic, trois fois Biòu d’Or et le légendaire Goya vont s’illustrer et porter haut les couleurs de la marque.

1959 – Tigre
1960 – Tigre
1962 – Caraque
1965 – Loustic
1966 – Loustic
1967 – Loustic
1974 – Gardon
1976 – Goya
1985 – Fidelio
1987 – Filou
1990 – Banco
1997 – Rubis
2018 – Jupiter

Le nouveau siècle voit un changement de génération à la tête de la manade. Patrick Laurent, fils d’Henri et d’Annie prend la relève.
Ce dernier doit faire face au défi de la reconstitution du cheptel en 2005 à la suite d’un abattage sanitaire. Ce qu’il réalise avec beaucoup d’abnégation et de persévérance. Les cocardiers de la devise des Marquises vont à nouveau se faire remarquer dans les arènes et la consécration viendra en 2018 avec Jupiter et l’obtention d’un treizième Biòu d’Or.

Aujourd’hui, avec Paul, c’est la quatrième génération qui est aux manettes."

Consulter l’article sur ce lien : https://news.dayfr.com/trends/4090138.html

[1Le sperme de Lion et de deux de ses fils - dont Teflon - a été congelé. L’insémination artificielle a fait le reste...