Les clameurs de tout un petit peuple rassemblé pour fêter St Maurice, patron de la commune, arivaient jusqu’à Dollar, mais sans le toucher.

Ce jeune cocardier, attendant dans le char l’heure de combattre, semblait indifférent, comme détaché de ce monde. Descendant du redoutable cocardier “ Frisé” et de l’impétueuse “Louise”, il avait lui aussi rêvé de gloire, souhaitant devenir une de ces vedettes de la course à la cocarde qui font déplacer les foules de Provence et du Languedoc.
Hélas, dans la manade Ricard, d’autres plus méchants, plus hargneux que lui, occupaient ce rang et jamais il ne pourrait rivaliser avec les Fourmogo, Bohémien, Adjudant.

Peut-être pourrait-il un jour réaliser un exploit qui le rendrait assez célèbre pour qu’a son tour, sur les pâturages de Méjanes, les visiteurs venus contempler la manade se le montrent du doigt.
Mais lequel ?
Aussi lorsque le gardian lui ayant ouvert les portes du char le poussa légèrement de son trident en lui criant ” Vé...Dollar… à toi” il s’élança mollement en piste, résigné mais peu combatif, bien abrité derrière la barrière, du moins le croyait-il, un spectateur agitant ses bras comme des moulins à vent, appelait Dollar.

Le cocardier s’élance, cela ne lui déplait pas d’effrayer les spectateurs qui le provoquent. Mais peut être aveuglé par le soleil ardent ou parce qu’ayant mal dosé son élan, Dollar vient frapper de son poitrail puissant la barrière, stupeur, le poteau télégraphique qu’en constitue la partie supérieure se rompt net.
La tentation est trop forte, sans plus réfléchir, voilà notre taureau qui d’un saut plein de souplesse saute la barrière et, dans la confusion générale, se sauve.

Voici la gare.
Oh, il y a bien longtemps qu’il n’y passe plus de train. Mais sa cour est devenue providence des joueurs de boules, qui justement, en ce jour de fête, y disputent un grand concours.
Dans ces concours, il y a toujours beaucoup de curieux qui suivent les différents parties, les commentent, ne se gênant pas pour donner conseils et souvent critiquer les joueurs. Ils sont un peu gênants mais on les supporte. Mais un taureau ! Certains n’ont pas encore trouvé l’abri dans lequel ils pourront trouver un refuge que notre Dollar, dédaigneux de cette foule apeurée, a traversé le jeu de boules.

En dévalant la draille qui descend vers le village de Pélissanne, il pense encore, amusé, aux mines stupéfaites de ces joueurs qu’il vient de déranger dans leurs concours et qu’il si fortement effrayés. Il accélère un peu son allure car maintenant derrière lui, la poursuite s’organise.
Il fait un brusque écart pour éviter un petit enfant que promenait une vieille mémé : Mais aco es un biòu ! s’écrit-elle avant d’être happée par le tourbillon de la meute hurlante des poursuivants. On s’empresse, on la réconforte, on manque l’étouffer !

Dollar traverse le village.
Voici les dernières maisons sur la route de St Cannat. Maintenant le cocardier possède une bonne avance. Il peut pénétrer dans cette vigne. Des vignes, il en a déjà vus à Méjannes, mais jamais de si près.
Que c’est beau !
Le voilà de nouveau traqué, il doit encore fuir. Pourtant, qu’il ferait bon flâner au bord de la Touloubre. Les senteurs de la colline proche font frémir ses naseaux.

Nouvel arrêt devant le magnifique château de la Barben.
Poursuivant sa route au petit trot, il ne peut s’empêcher de se retourner et… sans le vouloir, il bouscule le vénérable marquis de ces lieux qui en perd son monocle.