Le congrès de la Course Libre 1938
Extrait de "Le Toril" N° 550 1938 par Mario
"Le congrès de la course libre annoncé primitivement pour le premier dimanche d’avril, a été avancé et aura lieu, à Châteaurenard, comme convenu, le dernier dimanche de mars, le 27.
Ne connaissant pas encore les heures de réunion, ni le programme des questions à discuter, il ne m’est pas possible de faire des réserves quant aux possibilités qu’auront les congressistes à défendre ou connaitre les vœux présentés. Mais la course de l’après-midi, organisée à l’occasion de ce congrès par le Club Taurin Châteaurenardais me parait être une erreur. Non pas que l’idée d’offrir une course aux congressistes soit critiquable, au contraire, elle est excellente, mais parce qu’on aura pas le temps de discuter sérieusement des choses graves, dont dépend l’avenir de la course libre, et qu’on ne prendra pas, faute de temps, les décisions qui auraient dû être l’unique but de cette réunion de printemps.
Il ne sera guère possible, en effet de réunir avant neuf heures et demie du matin ; le traditionnel banquet arrachera les congressistes du siège du Club Taurin Châteaurenardais dès que sonnera midi ; course après le déjeuner et dislocation sans doute après la course, nous verrons a ce moment là ce que nous aurons fait d’utile.
Quoi qu’il en soit, il faut que nous soyons très nombreux à cette réunion. Tous les clubs taurins intéressés par la course libre devraient se faire représenter. Les manadiers qui sont les premiers mainteneurs de nos spectacles, devraient être présents eux aussi, et les razeteurs devraient venir nombreux, très nombreux, pour discuter des questions qui sont vitales pour eux et faire respecter ensuite par leurs collègues les décisions prises.
Pour ma part j’ai l’intention de me rendre au congrès et de proposer ce que j’exposai dans le dernier numéro du « Toril »
Il me plairait beaucoup que les lecteurs de cette chronique aient réfléchi et étudié longuement cette question. Elle me parait être très importante pour le spectateur, à première vue du moins, mais elle l’est autant pour le razeteur, pour l’organisateur et pour le manadier. Il n’y a pas à réfléchir cinq minutes pour le comprendre.
Les gens qui affirment que la course libre est encore de nos jours ce qu’elle était il y a cinquante ans commettent une erreur profonde. Rien n’est plus faux. Ils commentent une erreur profonde, à moins qu’ils ne soient de vulgaires profanes.
La course libre a subi de nombreuses transformations. Les dernières, dont il faut reparler, furent prises après la guerre. Alors qu’autrefois on pouvait attaquer le taureau aussitôt après sa sortie du toril, , on inaugura le premier système de la minute de reconnaissance. Système on ne peut plus juste. Quand le cocardier sort du toril obscur il lui faut un petit moment pour s’habituer à la lumière aveuglante du soleil et reconnaitre la piste. Quand il parait dans le rond, éclatant de lumière, il y voit mal et les hommes n’ont guère de mérite à ce moment là de le razeter. Le laps de temps qui s’écoule avant la sonnerie de l’attaque est donc absolument nécessaire et ceux qui votèrent cette décision étaient certainement d’excellent aficionados, de bons amateurs de courses libres.
Une autre décision très importante fut prise aussi vers la même époque. Elle disait à peu près ceci : le razeteur qui coupera la cocarde aura la moitié de la prime si le ruban est enlevé ; à la moitié, si le cocardier ramène le morceau de soie rouge au toril. C’est cette décision que nous avons l’intention de discuter et de combattre au prochain congrès de Châteaurenard.
Cette manière d’opérer était juste alors qu’il n’y avait qu’une cocarde sur le front de chaque taureau. Il n’était pas régulier, en effet, que le razeteur malchanceux ayant coupé la ficelle ne touche absolument aucune prime si la cocarde était enlevée par un de ses collègues. Mais les temps ont changé, il y a plus qu’une cocarde, et après le ruban rouge il reste encore les primes au gland, les primes à la ficelle, les primes à l’élastique, et je ne vois pas pourquoi, dans ces conditions, on donnerait davantage au razeteur malchanceux qui coupe seulement, alors qu’on ne donne rien à l’autre malchanceux qui monte une ficelle primée au bout de la corne, laissant par moment une somme formidable, au « verni » qui voit la ficelle tomber sur un mauvais razet.
Je répète ce que je disais précédemment : la prime de la cocarde devrait être intégralement payée à celui qui enlève la cocarde. Au cas où celle-ci reviendrait au toril, la ficelle ayant été coupée, on peut envisager alors d’en payer le quart, comme convenu dans le précédent règlement. Il n’y a pas a sortir de là, un razeteur qui coupe la ficelle de la cocarde n’a pas plus de mérite que celui qui arrache la moitié des franges du gland et qui ne touche rien. C’est, a notre avis, une question de justice, et il serait bon d’essayer de mettre cela en pratique cette année même.
On ne me fera pas mieux comprendre, d’ailleurs, pourquoi la cocarde est plus primée que les deux glands et, ici, on aborde une des principales questions du prochain congrès. Il faut arriver à faire primer également glands et cocardes. Il n’est pas admissible que les glands, plus difficiles à prendre que le ruban rouge, soient moins primés. Encore une question de justice, et je ne vois pas ce que les razeteurs pourraient objecter à cette combinaison.
Les aficionados eux, n’auraient qu’à y gagner, surtout si, comme nous l’exposerons tout à l’heure pour la seconde fois, on faisait enlever les glands avant la cocarde.
Opérons par ordre. Nous disons donc que la prime affectée à un taureau devrait être répartie en trois sommes égales. Un exemple, un cocardier porte 150 francs. Les deux glands sont primés 50 francs l’un et la cocarde autant. C’est d’une logique qui crève les yeux, à moins d’être de parti pris, on ne peut pas ne pas admettre ce raisonnement. Si la cocarde coupée rentre au toril, le razeteur touche 25 francs de prime. Si la cocarde est enlevée, celui qui l’a enlevée touche 50 francs, comme celui qui prend un gland.
Notre proposition tendant à faire enlever les glands avant la cocarde, du fait de la précédente, est beaucoup plus explicable. Si les trois ornements sont pareillement primés, on ne voit pas pourquoi les razeteurs n’accepteraient pas de passer aux glands avant la cocarde. Cela parait n’avoir qu’une mince importance ; en réalité, ça en a beaucoup, comme nous avons eu l’avantage de l’expliquer dans des chroniques précédentes : cette combinaison supprimerait à peu près complètement le doublé, si préjudiciable à l’intérêt de la course. Et pour aller au fond de ma pensée je dirais que les glands devraient être attachés avec un fil de laine et que durant la première partie de la course du cocardier les crochets devraient être interdits.
Ah ! je sais qu’ici nous ne serons plus d’accord, mais plus du tout, avec les razeteurs, qui considèrent leur crochet comme leur indispensable outil de travail. Et pourtant, quelle amélioration nous obtiendrions si on acceptait cela ! Nous supprimerions les entailles sanglantes dans les parties les plus charnues de la tête du taureau, les entailles aux oreilles, et, ce qui est plus terrible, les yeux crevés avec les crochets malfaisants. Tout le monde y gagnerait ; vous allez voir comment ; les spectateurs en premier, les manadiers seraient bien plus tranquilles quant aux yeux de leurs bêtes, et les razeteurs, les razeteurs eux-mêmes, qui croient sans doute que nous voulons les léser, voici pourquoi ils gagneraient à la combinaison.
En relevant, comme ils le font maintenant les glands après les cocardes, il n’est pas rare qu’avec leur crochet ils attaquent aussi la ficelle et l’enlèvent avant que le gland soit parti. Adieu donc, à partir de ce moment là, les primes, quelquefois sensationnelles que l’on fait annoncer à la ficelle ; adieu le gain, attribué on ne sait jamais à qui, mais qui en tous les cas forcément à quelqu’un de la corporation.
Il semble qu’en organisant et menant les courses comme nous le désirerions, nous sauvegarderions les intérêts de tous le monde, mais surtout des razeteurs, qui ne pourraient pas ne pas en convenir s’ils voulaient y réfléchir longuement ensemble : primes égales aux glands et à la cocarde, enlèvement des glands d’abord, afin d’éviter les doublés, travail à la cocarde ensuite, et, enfin, primes à la ficelle s’il y a lieu, en tenant compte qu’il faut attribuer une nouvelle prime au razeteur qui coupe dessus."
Voilà donc, de quoi discuter longuement au cours de cette matinée du 27 mars, qu’il faudrait pouvoir allonger comme une table à rallonge. Je crains que nous n’ayons pas le temps désirable pour en parler a fond. Mais si, par hasard, nous pouvions traiter cette question et la faire adopter, comment la ferions nous mettre en pratique ?