La course camarguaise.
Un article signé : MARIO
pour le mensuel "La Bouvino" N°2 d’avril 1980
Et d’abord être raseteur à l’époque était un peu considéré, comme un métier « de sac et de corde ».
La mentalité des gens du crochet était quelque peu douteuse. Lorsque ceux-ci revenaient d’une course de village, à la nuit tombante, les poulaillers recevaient des visites, qui étaient pas celles d’un renard : c’était encore le moindre de leurs larcins.
Mais il y avait autre chose aussi sur le plein taurin : en piste sortaient des taureaux, qui faisaient peur par leur envergure, leurs cornes acérées, leurs coups de revers criminels.
Alors les hommes, pour qui la vie était un jeu, se mesuraient avec de tels adversaires, parce qu’il fallait aussi gagner « sa croûte ». Le courage se mesurait à l’appétit : sortaient alors des hommes vêtus de vert, de bleu, de jaune ou de rouge.
C’était vraiment la course libre avec son côté bohème, jusqu’au jour où un dimanche de 1921 ou 1922 à Lunel il fut décidé par la présidence, que tous les raseteurs devraient être habillés en blanc.
On ne badinait pas avec les décisions prises et force fut de se plier à cette décision d’abord à Lunel, puis partout ailleurs.
Il y avait encore les surplus américains et les chemises kakis notamment et un spectateur un peu gouailleur lança à l’adresse d’un réfractaire : « vèjé a quel émé sa camise dé sulfataïre ».
Les taureaux croisés disparurent complètement : Le Camarguais plus agiles, plus fins commençèrent de plaire.
L’élevage n’était pas le même, il inspirait moins de crainte, la tenue blanche trouva de nouveaux adeptes.
La guerre, l’avant-dernière, était passée par là. Le peuple recherchait l’oubli de ses nombreuses misères et voulait la réjouissance. La course libre restait le spectacle le plus populaire ; malgré un manque évident de moyens de communication, les arènes profitaient d’une clientèle qui augmentait.
L’élevage Camarguais était varié dans son comportement. Il y avait encore le taureau dur et difficile, qui exigeait certaines capacités pour rentrer dans son terrain propre au taureau.
Rares étaient ceux, qui savaient le faire ; par contre ceux, que l’on appelait « des carnassiers » faisait passer le frisson à toute l’assistance : c’était vraiment un duel très émotionnant, d’autant que les moyens de protection pour l’homme n’étaient pas ceux d’aujourd’hui.
Une guerre, la dernière, apporte toujours des modifications dans les moyens de faire et de vivre.
Il en a été encore ainsi et la course à la cocarde en premier, puis la course camarguaise inscrite maintenant dans la liste des disciplines sportives a suivi une évolution, qui n’est peut-être pas tellement souhaitée par les traditionalistes, mais qui est adoptée par le plus grand nombre.
- La mode est au spectacle, à la bougeotte en piste, même si elle est désordonnée. Il faut actuellement des calculs savants pour monter une cocarde d’or ou une course du jeudi de la foire de Beaucaire. Et pourtant il y eut des cocardes d’or solides notamment celle où Cosaque, Gandar, San Gillen étaient ensemble présents. Le dessus du panier des taureaux face à tous les raseteurs, qui se réduisaient à quelques uns face à de telles vedettes.
- Les cocardiers vedettes actuels ne sont plus susceptibles d’affronter une cocarde d’or : c’est la constatation d’une baisse de domination des taureaux sur les hommes.
Pourtant les élevages ne manquent pas. Malgré le manque de pâturages camarguais, leur nombre a peut-être doublé en 50 ans. Mais ils ont des problèmes, à ce point, que leur réunion reste fermée aux représentants de la presse, dont ils passent au crible les comptes rendus pour savoir, si au moins l’on n’a pas oublié de mentionner, qu’à un moment leur taureau a eu une réaction heureuse.
Il en est un peu ainsi de la part des raseteurs, qui ont pourtant changé en bien. Ils font souvent d’une course leur cas personnel, alors qu’il faut actuellement juger sur l’ensemble, mis à part quelques cas particuliers, qu’il faut spécialement soigner si l’on ne veut pas avoir pour longtemps « le sourire du mercredi des cendres ».
- Fort heureusement la passion, qui nous tient depuis longtemps remplacer les possibilités, qui devraient être données a la presse de s’expliquer dans les colloques, qui ne pourraient être fructueux.
L’amour du taureau remplace tout, ce taureau, qui n’est pas épargné de nos jours et pour l’avenir duquel nous avons bien des craintes en raison des efforts continus et des sorties trop nombreuses, qui lui sont imposés.
- La race Camargue sera peut-être heureusement plus forte que la malignité des hommes .