Les Blatière à Nîmes
Solidarité avec les sinistrés des graves inondations dans le sud ouest. Mars 1930
Dimanche 9 mars nous avons vu a Nîmes une course mixte offerte par le manadier Blatière au profit des sinistrés du Sud Ouest, et aujourd’hui pour nous de voir à Lunel, une course de Granon.
C’est donc la plazza Lunelloise qui a ouvert le feu cette année, car la course offerte par Blatière n’était pas prévue.
Tous les aficionados doivent féliciter sans réserve le manadier Vergézois qui, spontanément a offert une course au profit des sinistrés malheureux .
Nous croyons savoir que Blatière n’a accepté absolument aucune rémunération , qu’il a passé les frais de transport, les frais de déplacement pour ses hommes . On ne saurait trop le féliciter pour ce beau geste humanitaire et désintéressé.
Quoique l’entrée ait été gratuite ce jour-là aux arènes, on a recueilli dans des plateaux disposés à l’entrée plus de onze milles francs (1)
Il convient aussi de féliciter : Rey, Granito, Richard, qui donnèrent au comité chargé de recueillir ces fonds, l’argent des cocardes qu’il avaient enlevées, Rey à lui seul donna plus de deux cents francs. Il y a de riches bourgeois qui ne savent pas faire de tels gestes. Les raseteurs ne sont pas toujours ce que l’on croit.
Le temps était splendide pour cette première course et les arènes bien garnies.
Il n’en était pas de même aujourd’hui à Lunel. Indécis jusqu’à 2 heures, nous nous sommes décidés à partir à ce moment-là. Le soleil paraissait vouloir éclaircir un peu le ciel. Ce temps épouvantable, qui sévit depuis plusieurs mois, n’avait pas empêché un millier d’aficionados, peut-être un peu plus, de se rendre aux arènes. Ils n’ont pas eu à le regretter la course ayant été intéressante du premier au dernier cocardier.
La première remarque à faire, c’est la belle présentation du bétail. Contrairement a l’an dernier, les taureaux sont bien en chair et bien en forme. Les six cocardiers de Granon, comme d’ailleurs les six bêtes de Blatière à Nîmes, étaient superbes, et nous fûmes tous très agréablement surpris. Il est certain que les taureaux ont bien moins souffert cette année que l’an passé et tous les manadiers que nous avons vu sont satisfaits.
Granon avait amené six cocardiers, que tous les amateurs connaissent, parce qu’au cours de l’été ils font partie du contingent actif . Ce manadier a une trentaine de bêtes qu’il fait « tourner » alternativement et que l’on voit réapparaître à intervalles réguliers sur les affiches.
Le Scorpion, qui courut premier, bien entendu, reçut le gros assaut d’une vingtaine de raseteurs, qui, à la sortie de l’hiver, « s’animent ». Ces gars, qui tout l’hiver font du football pour se conserver de bons mollets, ne manquent plus d’entraînement, comme autrefois au début de la saison, et Le Scorpion s’en rendit bien vite compte.
Le Vaillant, qui sortit second, fut un des meilleurs, sinon le meilleur des six, pour ma part j’ai mieux aimé la course du Canario qui sortit sixième, mais de nombreux amateurs trouvèrent que le Vaillant avait été le meilleur de tous.
Le Pinero fut bon, mais ne fit pas sensation.
Le Mâtre fut le plus mauvais et Le Cartouche fit une bonne course.
Celui que nous intéresse le plus vivement fut Le Canario.
Ce taureau qui est gros comme une « moustelle » dit Nourrit, s’améliora constamment et fut le maître du rond à partir de la dixième minute. Il enferma a tout les coups et il ne finira certainement pas la saison sans passer la tête à la barricade. C’est un taureau jeune, il n’a probablement pas six ans et il a d’excellents principes. Les raseteurs le craignent, ce qui est bon signe. Nous aurons probablement l’occasion de reparler du Canario avant peu.
Au premier de la course, sur un razet très serré, Marty, « l’avocat » se fit soulever sans mal, heureusement. Ce brave raseteur arlésien, travailla sans arrêt pendant toute la course, ainsi que ses deux compatriotes Paulet et Bouffier.
Des Beaucairois, Rey fut le meilleur et il fut d’ailleurs le meilleur de tous, Granito travailla aussi très consciencieusement , Richard de Nîmes, qui ne nous parait pas encore avoir retrouvé tous ces moyens, se dépensa, et Garonne, pour cette première course, nous parut en progrès sur l’an passé. Mais tout ceci n’est qu’appréciation temporaire, nous reparlerons de tout cela en mai ou juin. Pour le moment, il ne fait pas encore chaud et c’est presque regrettable de raconter une course quand la pluie, cet horrible cauchemar, frappe sur toutes les tuiles de la maison.
Cependant, nous voudrions bien dire encore quelques mots sur un sujet toujours d’actualité, c’est des casquettes que nous voulons parler.
Des casquettes que raseteurs et spectateurs lancent au taureau, au moment où celui-ci vient à la barricade. Ça fait bien au moins cinq fois que nous écrivons ici que rien ne détruit davantage un cocardier que ce fâcheux geste.
Lorsque le cocardier vient à la planche poursuivant un raseteur, il y vient de toute sa force, et toute son énergie, tout son instinct sont tendus vers le but à atteindre : l’homme.
Si au moment où le taureau donne le plus gros effort possible, le meilleur de lui même, il reçoit une casquette sur les yeux, il s’arrête, surpris, et les aficionados sont déçus. Notez bien que nous n’allons pas aux arènes pour voir trouer des peaux, non, pas du tout, mais alors vrai, pas du tout. Mais nous considérons que ce qu’il y a de beau dans la course, c’est cela et d’abord cela : la poursuite et l’action du taureau à la barricade.
Certes, nous applaudissons des deux mains lorsque nous voyons un beau raset, mais notre enthousiasme est à son comble lorsque après ce beau raset le taureau poursuit , allongeant le cou, la tête baissée, le museau en avant, les jarrets tendus, le corps touchant presque la terre et qu’en arrivant aux planches il fait un dernier et ultime effort et passe la tête entière dans le couloir.. voilà ce que nous, et beaucoup de gens avec nous, allons voir aux arènes.
Et voilà ce que nous voyons rarement, ce que nous risquons de ne plus voir du tout si on continue à lancer des casquettes entre les yeux du taureau, à chaque poursuite.
Ah ! La question ne se pose pas s’il y a un raseteur en danger, mais ce fait devient maintenant trop fréquent et cela est regrettable. Du moins, nous personnellement, le regrettons sincèrement et serions heureux de voir mettre bon ordre à cette mauvaise habitude.
Il y a de nombreux moyens pour « faire le quite » à un razeteur en danger, il y en a de plus jolis qui ne sont pas très dangereux cependant. Lorsque le taureau est dans la « via » il est facile de partir de la barricade, en criant et faisant de grands gestes, de détourner le taureau et de revenir aux planches après avoir décrit un demi-cercle. Mais c’est évidemment un peu plus pénible et dangereux que le reste et le coup de la casquette , dont nous reparlerons le cas échéant.