C’est sous ces influences que bientôt le public Avignonnais ne se contentera plus de simulacre et désirera assister à des corridas formelles [1].

Déjà à la demande du préfet, lequel agissait sur les instances du ministère de l’intérieur, les maires de certaines localités du département promulguaient un arrêté interdisant la mise à mort des taureaux [2].

En dépit de ces textes qui prenaient valeur d’avertissement , le Pouly s’était vanté auprès de ses amis de fournir pour la saison 1893 de véritables courses espagnoles [3].

Le 18 juin, lors d’une course de quadrille, le public réclama à hauts cris la mise à mort [4], appuyé par l’opinion qui trouvait choquant qu’Avignon ne fût pas, en cette matière, l’égale de villes comme Beaucaire, Arles ou Châteaurenard.
Fin août, la ville se couvrit d’affiches au style grandiloquent : il y aura des frémissements dans l’atmosphère parfumée de Bagatelle, car l’action des géants escaladant l’Olympe sous l’ œil de Jupiter n’est rien auprès auprès de cette grande course à la mode espagnole que nous offrons au peuple provençal [5].

Malgré une ultime démarche du préfet auprès du maire pour qu’il démente cette nouvelle le 27 août 1893, les matadors Carrita et Chiclanero exécutaient deux taureaux avec tout le cérémonial usité en Espagne, picadors, alguazils, trains de mulets etc... [6].

On notera que les fonctionnaires, tels que le juge d’instruction, le général commandant la 30e division, ne craignent pas d’occuper des places réservées avec leurs épouses [7].
Nouvelle course espagnole le 27 septembre, qui doit frapper de stupéfaction les amateurs qui des rives enchantées de la Durance, aux flots bleus de la Méditerranée suivent passionnément la marche des arènes avignonnaises [8].

Le grand pas était franchi sans trop de mal, semble t-il, et on s’apprêtait à continuer sur cette lancée.
Le lundi de Pentecôte 14 mai 1894, pendant la pose du simulacre, le troisième taureau blessa grièvement au bas ventre le matador Alvarez [9] qui, après une pénible agonie dans l’écurie qui servait d’infirmerie décéda peu après à l’hôpital où on s’était enfin décidé à le transporter [10].

Aux obsèques du belluaire , se déploya toute une couleur locale.
Sur le cercueil est étendue la cape ; des femmes espagnoles, en costume national, suivent le cortège que précèdent, à travers la rue Carrèterie, la fanfare des enfants du Rhône et la musique de la Philarmonique avignonnaise jouant des marches funèbres [11].

Ce drame ne suscite pas de réaction officielle immédiate.
Mais, en vertu d’une instruction générale du ministre de l’intérieur s’étendant à tout le sud de la France, les mises à mort devenaient interdites et l’arrêté d’application intervenait pour le Vaucluse, le 29 septembre 1894 [12].

Cette mesure fut considérée comme une brimade infligée à tout le peuple du Midi [13] et resta lettre morte un peu partout.
D’autant plus facilement qu’organisateurs et public trouvaient dans les municipalités des complices tout disposés à berner une administration indifférente à leurs soucis électoraux [14].

On se borna à dresser un platonique procès-verbal contre l’entrepreneur et les toréadors et à infliger une modique amende.
Les autorités admettent et même admirent les courses régulières en raison de leur beauté, de l’adresse qu’elles nécessitent et du courage qu’elles exigent de la part des combattants, tout en déplorant leurs paroles qui, dans les villages surtout, dégénèrent souvent en stupides boucheries. [15].

D’ailleurs à Toulouse en 1898, Léon Bourgeois, ministre de l’instruction publique et Georges Leygues, ancien Ministre des Colonies, assistent à une mise à mort.
C’est en quelque sorte la reconnaissance officielle du droit à la corrida de muerte.
Cependant, des réactions défavorables se produisent encore.
L’espagnol Garcia Chuffero est reconduit à la frontière en août 1900, pour avoir tué un taureau à l’Isle-sur-Sorgue. [16]

[1la première en France avait eu lieu à Nîmes le 10 mai 1863, avec le célèbre matador El Tato

[2on peut ainsi connaitre les villes où se déroulaient pendant les fêtes votives en cette fin du XIXe ce sont : Apt, Cavaillon, Isle, Orange, Valréas ( archives départementale du Vaucluse)

[3"le courrier du midi" 9 juin 1893 N° 3232

[4"La Semaine Mondaine" ; 21 juin 1893 N° 1035

[5"La Semaine Mondaine" ; 30 août 1893 N° 1045

[6"La Semaine Mondaine"

[7"Le courrier du midi" 23 août 1893 N° 3264

[8" la semaine mondaine" 13 septembre 1893 N° 1047

[9Alvarez se nommait en réalité Nicolas Mallet, né à Marseille, il est enterré au cimetière d’Avignon, carré 11, dans le tombeau des Bourrat.

[10"le courrier du midi" 16 et 18 mai 1894 N° 3378 et 3379

[11" la semaine mondaine" 23 mai 1894 N° 1084

[12arrêté du 29 septembre 1894

[13A Nîmes se déroula le 14 octobre la grande corrida de protestation, en présence du maire de la ville Reinaud, de tout le conseil municipal, du député de Bernis et de Frédéric Mistral

[14un des moyens consistait pour le maire d’Avignon à soutenir qu’il avait simplement autorisé une course sans mise à mort et que sa religion avait été surprise.
Le préfet alerté trop tard par des affiches apposées, ne pouvait plus rien ( archives départementales du Vaucluse du 08 octobre 1896.

[15lettre du sous-préfet d’Orange 21 juin1899

[16"archives départementales du Vaucluse"