Dans le Landerneau tauromachique, même les vieilles pierres le connaissent et le reconnaissent.
Huit fois lauréat du trophée des As... un record qu’aucun raseteur n’a et n’est prêt d’égaler.

Avec sa moustache de hussard, son sourire conquérant et son front aujourd’hui dégarni, Patrick Castro est à la course libre ce que Raymond Kopa a été au football, Jean-Claude Killy au ski et Jacques Anquetil au cyclisme.

Comme le champion normand, vainqueur multi-récidiviste du Tour de France, Patrick Castro n’a pas toujours été apprécié à sa juste valeur par un public plutôt partisan et supporter des Poulidor du raset.
Mais un champion demeure un champion !

Après « Rami », « Ventadour », « Goya » et autres étoiles de la course cocardière, Patrick Castro a décidé aujourd’hui de ranger son crochet dans la vitrine des souvenirs.
Un croche-pied à la course camarguaise ?
Pas le moins du monde. A 40 ans, il faut savoir tourner la page. Même si un chapitre du grand livre de la bouvine se referme en même temps.

Pour son « adieu au raset », c’est-à-dire sa dernière apparition en piste, Patrick Castro a choisi Nîmes.

P. Castro, 2ème au Trophée de la Lune d’Argent derrière Chomel - Lunel 1984

M.L. : Ce ne doit pas être facile de s’arrêter aussi subitement après une carrière longue de 24 ans ?
Patrick Castro : « Non, mais j’ai eu 40 ans le 1er septembre. Cela faisait deux ans que j’y pensais et maintenant, c’est décidé.
C’est un vrai départ.
Je ne ferai pas comme les Compagnons de la Chanson. Dimanche à Nîmes, ce sera réellement mon dernier raset ».

M.L. : Pourquoi avoir choisi Nîmes. On dit également que Lunel prépare une fête pour votre despedida ?
Patrick Castro : « Nîmes, d’abord parce qu’on me l’a demandé et ensuite, parce que je suis Gardois et que j’ai vécu de très grands moments dans ces arènes.
Et je le répète, ce sera la dernière fois que je raseterai ».

M.L. : Mais vous pourriez, comme beaucoup d’autres, retourner en piste comme tourneur ?
Patrick Castro : « Non jamais ! Je me contenterais peut-être de donner des conseils aux jeunes raseteurs.
Je ne suis pas comme mon père qui, lui, est un drogué de la course camarguaise. A 59 ans, il est toujours en piste et n’arrive pas à en sortir.

M.L. : En commençant à raset er en 1964, dès l’âge de 16 ans, vous avez côtoyé les plus grands...
Patrick Castro : « Oui, j’ai raseté avec Soler, San Juan, Pascal, Canto, etc., mais jamais, je le regrette, avec Falomir, qui avait arrêté avant.
Parmi les plus grands, c’est Soler qui m’a le plus marqué ».

M.L. : C’est Félix Castro, votre père, qui vous a incité à raseter ?
Patrick Castro : « Au contraire, au début, ma famille n’était pas du tout d’accord.
C’est plutôt un défi avec mes amis d’Aigues-Vives.
Mais à l’époque, en semaine, on pouvait travailler des taureaux et des vaches à cornes nues en bleu de travail ou en short... alors, en sortant de la maison, je mettais le crochet dans la poche et voilà...
Plus tard, évidemment, mon père m’a beaucoup aidé. A partir de 1974, il a tourné pour moi ».

M.L : En 1966, en junior, vous avez gagné la coupe Gambardella avec Nimes Olympique aux côtés de joueurs tels que Mézy, Martinelli, Odasso... qui sont tous, par la suite, devenus des pro. Pourquoi avoir abandonné le football ?
Patrick Castro : « Je joue toujours en amateur mais il fallait faire un choix.
J’ai opté pour les taureaux.
Mais les gens que j’ai rencontré alors m’ont beaucoup apporté.
Marcel Rouvière, l’entraîneur, m’a appris à me connaître et a ainsi contribué à ma réussite professionnelle.
Je suis resté, par la suite, très ami avec Mézy, il a fait une belle carrière. C’est lui qui m’a fait prendre conscience qu’en prenant autant de risques, je devais aussi gagner de l’argent.
Ils ont compté pour moi, comme plus tard, le manadier Paul Laurent, un homme exceptionnel et extraordinaire. Il a entretenu avec moi des rapports paternels fabuleux ».

M.L. : Vous avez gagné beaucoup d’argent grâce à la course camarguaise ?
Patrick Castro : « ...(sourire).
Pour cette question, je joue un joker (re-sourire).
De toute manière, j’ai toujours travaillé parallèlement.
Au départ, j’étais tréfileur [1] à Vauvert.
Puis employé dans une papeterie, l’hiver je faisais la sagne (coupe des roseaux).
A partir de 73, j’ai été clerc chez un huissier à Aimargues.
Du 15 juin au 15 septembre, je travaillais de 7 h à 12 h et me mettais en congé tous les après-midi pour aller aux taureaux.
C’est exceptionnel de trouver un patron aussi tolérant.
Enfin, en 81, j’ai acheté le bar National à Lunel ».

M.L. : Pas toujours facile non plus la vie d’une femme de raseteur...
Votre épouse était-elle consentante pour que vous preniez autant de risques ?

Patrick Castro : « Cela n’a pas toujours été très facile pour elle, mais elle a toujours été formidable.
Quand je l’ai épousée en 1969, j’étais « raseteur-brocanteur ».
On n’a jamais parlé de taureaux ensemble.
Elle a toujours su vivre dans l’ombre sans jamais se mêler de rien. Pendant les courses, elle était tellement stressée pour moi que quand on rentrait, elle était toujours malade... sans elle non plus, je n’aurais peut-être pas été ce que je fus ».

M.L. : Huit fois lauréat du trophée des As en 1970, 71, 72, 75, 76, 77, 78 et 80, c’est un record dont vous êtes fier ?
Patrick Castro : « Evidemment, le trophée des As, c’est important pour les raseteurs.
Soler l’a remporté six fois et aurait pu faire aussi bien que moi s’il n’avait arrêté sa carrière à 29 ans ».

M.L. : On compare quelquefois Chomel à Soler...
Patrick Castro : « Je pense que l’on ne peut pas les comparer.
D’abord parce qu’il y a eu une trop grande évolution dans la réglementation.
C’est vrai que Chomel est le meilleur de tous à l’heure actuelle, mais je me demande s’il aurait pu, comme Soler, faire deux ou trois courses dans la même journée. Un festival le matin, la course de l’après-midi et un festival le soir, par exemple ».

Ventadour sur Patrick Castro, Lunel le 28 octobre 1984
Ventadour sur Patrick Castro, Lunel le 28 octobre 1984

M.L. : Justement, que pensez-vous de cette évolution de la course camarguaise ?
Patrick Castro : « Je crois que plus on essaie de réglementer et moins on avance.
Aujourd’hui, on pense trop aux hommes et pas assez aux taureaux.
Ce, par exemple dans la construction des nouvelles arènes, qui facilite le travail des raseteurs en leur enlevant une grosse part de risques. Résultat, le spectacle perd de son cachet et les taureaux ne tiennent que trois ou quatre saisons puis perdent le moral.
Je regrette aussi que la réglementation interdise, dans les grandes compétitions, la confrontation des différentes générations...
Cent raseteurs, c’est beaucoup peut-être mais la solution n’est pas de classer les bons et les mauvais.
En organisant des courses avec des mauvais taureaux et des mauvais raseteurs, on va forcé : ment à l’échec.
Le mieux serait peut-être de décourager les apprentis-raseteurs au départ.
Si en protection, par exemple, on les envoyait dans des arènes difficiles comme les Saintes, Lunel ou Nîmes, certains n’auraient pas envie de retourner en piste. La concurrence est nécessaire en piste.
Je me souviens, en 1973, l’arrivée des Siméon, Rado, etc., a d’abord apporté un renouveau de spectateurs mais a aussi permis une remise en cause des « anciens ».
Il fallait sans cesse faire la preuve de nos capacités pour ne pas se faire bouffer.
Maintenant, il n’y a pas plus de remise en question de la part des raseteurs. Décontractés, ils font sept ou huit rasets par taureau, sans plus.
Vouloir également maintenir les hommes en catégorie « Avenir » jusqu’à 25 ans est une erreur.
En football, à cette âge-là, on est cuit.
Dans le raset à 30 ou 32 ans, on est sur le déclin.
Cela fait des carrières bien courtes ».

M.L. : Quels sont les meilleurs souvenirs de votre carrière ?
Patrick Castro : « Il y en a beaucoup.
Evidemment, au niveau des taureaux, il y a « Goya » qui était exceptionnel. Mais « Rami », « Ventadour », « Vergézois » ont aussi marqué ma carrière.
Au niveau des courses, celles qui resteront gravées dans ma mémoire sont une certaine finale du trophée de l’Avenir en 1979 et une Royale de Laurent à Lunel en 1976 où j’avais raseté seul les trois derniers taureaux ».

M.L. : Il doit aussi y avoir de mauvais souvenirs ?
Patrick Castro : « Les mauvais souvenirs, ce sont les blessures.
La première a d’ailleurs été la plus grave. C’était dans les arènes de Mauguio, le 17 août 1965.
J’ai eu la veine fémorale sectionnée par « Bagna » de Lhousteau-Vedel.
Ensuite, j’ai été blessé au bras par « Jupiter », « Bagna » (Mailhan), « Vergézois », deux fois par « Gardon » qui était ma bête noire, « Lieutenant », « Rameau », « Bingo » et la dernière fois, aux Saintes-Maries, en 79, par « Parpailloun » de Lagarde.
Mais chaque fois, on me faisait des points et je recourais le lendemain ».

M.L. : On ne peut pas parler de votre carrière sans faire référence à un certain public qui n’a pas toujours été tendre avec vous.
Patrick Castro : « C’est vrai et cela m’a fait très mal au début. Je ne comprenais pas.
On trouvait que je ne faisais pas assez briller les taureaux.
Mais en définitive, on se prend au jeu des critiques et des sifflets. C’est peut-être grâce à eux que j’ai réussi.
En fin de carrière curieusement, les réactions ont basculé et ceux qui me sifflaient m’applaudissent alors que j’apporte beaucoup moins à la course camarguaise ».

M.L. : On vous sifflait peut-être parce que vous aviez mauvais caractère ?
Patrick Castro : « Mais je n’ai pas mauvais caractère (éclats de rire).
C’est vrai, je suis un peu le McEnroe de la tauromachie.
Mais lorsqu’on est dans une piste difficile, il faut assumer ses responsabilités.
Je ronchonnais, je rouspétais... Mais à l’époque, je faisais 100 à 110 courses par saison... dans ces conditions, on ne peut pas avoir le sourire tout le temps ».

M.L. : Sans parler d’argent... vous pouvez tout de même nous confier quel est le plus gros attribut que vous ayez emporté.
Patrick Castro : « Tout le monde le sait, c’est une ficelle à 7.500 F dans les arènes de Nîmes en 1985 ».

[1tréfileur : Personne chargée de travailler le métal pour en faire du fil. NdR