Pâturages gratuits
Il y a soixante-dix ou quatre-vingts ans, il en était ainsi au Cailar où les terrains communaux sans être aussi importants qu’aux Saintes représentaient une ressource importante pour le bétail à cause des prés nombreux et riches qui couvrent une superficie appréciable du territoire. Là aussi, il y avait le gardeur qui ramassait les bêtes. Cette coutume s’est oubliée au Cailar comme aux Saintes mais il y en a qui n’ont pas oublié ce droit de pâture, ce sont les (...)
Il y a soixante-dix ou quatre-vingts ans, il en était ainsi au Cailar où les terrains communaux sans être aussi importants qu’aux Saintes représentaient une ressource importante pour le bétail à cause des prés nombreux et riches qui couvrent une superficie appréciable du territoire. Là aussi, il y avait le gardeur qui ramassait les bêtes.
Cette coutume s’est oubliée au Cailar comme aux Saintes ; mais il y en a qui n’ont pas oublié ce droit de pâture, ce sont les manadiers qui à peut près tous en bénéficient et n’oublient pas d’amener les manades dans les prés du Cailar dès que le moment est venu.
De quand date ce droit de pâture ? Nul ne saurait le dire de façon certaine. Les pièces consignant ces donations ayant été brulées où détruites. Cependant, on peut affirmer que ces droits existaient déjà en 1248 sous le règne de Saint Louis.
En effet, « un acte du21 août 1248, daté d’Aigues Mortes, nous apprend que Saint Louis céda le Cailar à Bermond de Sommières en échange de Sommières et du château de la Vallée de Calberte. Les autres faits après cet échange par Pons Bermond, son fils, relativement à des concessions date de 1266, 1280 et 1288 » (1).
C’est précisément dans le premier de ces actes que l’on peut juger de l’ancienneté immémoriale des droits de pâture.
« Le premier de ces actes, 1266, fut reçu par Bernard Roman, notaire d’Aimargues. Bermond accorde la dépaissance sur une grande partie du territoire, depuis le carême jusqu’à la Saint Jean en paiement des services que lui avait rendus les habitants »
Le deuxième acte de 1280 ne nous intéresse pas. Mais dans le 3e, celui de 1288, « Bermond concède d’autres parties du territoire et en un mot l’entier droit de pâture dans toute la juridiction. Le seigneur se réserve seulement le droit de quinze deniers sur toute bête étrangère qui dépêtrait. De son coté, la communauté contracta l’engagement de donner à Bermond cent livres payables la moitié au carême, l’autre moitié à Saint Michel.
Dans tous les actes passés entre les seigneurs et les habitants de la région ces droits sont mentionnés et en « l’an 1291, les Cailarois fatigués et blessés que tous leurs actes ne parlaient que de concessions de pâturer, pêcher, chasser, etc.… facultés qu’ils croyaient avoir eu de tout temps en franc-aller, obtinrent de Bermond une transaction par laquelle toutes ces prétendues concessions furent reconnues leur avoir appartenu de tout temps (2)
Mais tous ces actes n’empêchèrent pas que de tous temps il y eu procès, et certains viennent de se terminer, il y a quelques années à peine
En 1470, le juge de Montpellier, en 1477, le sénéchal de Beaucaire confirmèrent le droit des Cailarens contre les seigneurs des pays environnants qui cherchaient à abolir leurs droits
En 1550, un seigneur, Jacques de Bozain voulut empiéter sur les prérogatives des habitants du Cailar. Nouveau procès retentissant que les guerres de religions suspendirent.
« Lorsque le calme du royaume permit aux habitants de s’occuper de leurs intérêts locaux, l’affaire des droits de pâture fut reprise et il s’ensuivit, comme de coutume, une transaction le 7 avril 1604. Nous voyons dans cet acte que la moitié des amendes payées sur les étrangers trouvés aux pâturages appartenait à la communauté. Il y est en outre spécifié que la remise des bestiaux ne pouvait être faite sans son consentement. Les habitants qui manquaient aux règlements de pâture étaient passible d’une amende de deux sous par grosses bêtes et de deux deniers par bêtes menues ».
On voit que dans cette transaction que les droits et obligations des Cailarois, comme on disait, étaient alors nettement définis.
Le Vistre qui traverse les prés du Cailar fut aussi la cause de nombreux procès. Les habitants des châteaux et des pays environnants voulaient abreuver leurs bestiaux dans la rivière. « le jugement entrepris contre la famille De Moynier, interdit à nombreux seigneurs d’abreuver leurs bestiaux ans le Vistre, ce qui contrariait les Cailarois.
Et certains savants prétendent que ce droit de pâture avait été concédé bien avant tout ceci par la famille des De Baschi, seigneur du Cailar, avant le douzième siècle. On peut donc dire que les Cailarens ont toujours joui de ces droits de pâture, de chasse et de pêche, droit exclusivement réservés, entendons-nous bien aux habitants du Cailar domiciliés au Cailar.
Il aurait été intéressant de trouver des actes originaux où ces droits étaient consignés, mais ils demeurent presque tous à peu près introuvables. Ils ont probablement flambés dans les incendies des châteaux durant les guerres de religion ou à la évolution.
Quoi qu’il en soit, les droits sont respectés de nos jours et les tribunaux de la république ont toujours confirmé les jugements rendus par les tribunaux des Rois de France. Aussi, les manadiers comprirent vite l’intérêt qu’ils pouvaient retirer de pareille situation, dans un pays où l’amour du taureau a toujours été vivace.
Il s’agit, en effet d’avoir une maison au Cailar, d’y être contribuable pour jouir du privilège. C’est pour cela que les uns après les autres, les manadiers, depuis Papinaud jusqu’à Blatière, en passant par Granon, Combet, Guillerme, Raynaud, Robert, Baroncelli ont acheté une maison dans le petit village qui borde le Vistre et profitent tous, qui plus, qui moins, des verts pâturages des prés.
Mais les territoires de Vauvert et du Cailar sont limitrophes. Certains Vauverdois sont même propriétaires au Cailar et il a fallu obtenir certaines autorisations de la mairie de Vauvert, comme nous le verrons au cours de cet article.
En retour de ces avantages, es habitants du Cailar et ceux de Vauvert ont demandé aux manadiers de leur fournir des courses de taureaux durant la saison ; le concours de manade le jeudi de leur fête votive, cela est compréhensible et juste ? Ce qui l’est moins, ce sont les abus qui vinrent après.
A travers tous les bouleversements qui ont secoués la France, guerre de religions, révolution, changements de régimes, la tradition s’est perpétuée et voici brièvement comment on agit aujourd’hui.
Tous les prés des « Mauvinedo » sont livrés à la pâture immédiatement après le passage de la charrette, c’est-à-dire que sitôt après l’enlèvement des premiers foins, les taureaux peuvent venir dans ces prés et y manger. L’enlèvement de la première coupe ne devant pas d’ailleurs être postérieure au 14 juillet.
Dans les « Clapières » et le communal du Cailar, les manades ne viennent qu’après le 15 août et il y a en dehors de ces règles formelles qui régissent les prés principaux une série de dates, de droits, d’usages de traditions qui ne risqueraient pas de pouvoir s’écrire au cours de cet article.
C’est ainsi que les manadiers ont accès dans les prés de « Trente » et des « Demoiselles » à partir du 1e août. Tandis que pour les prés de la tour d’Anglas, il faut attendre le 1e septembre. Certains de ces prés appartiennent à des personnes qui les louent à des manadiers ou à des bergers. Cette location n’empêche pas le pré d’être livré à tous à date fixe, prévue dans les contrats dont nous parlions plus haut.
C’est pour tous cela que les manadiers fournissent courses et concours au Cailar. Ce droit aux communaux est très appréciable et certains manadiers en profitent, négligeant même d’affermer quoi que ce soit pour l’été.
Les courses fournies à Vauvert sont aussi le paiement d’un droit de pesage, assez court d’ailleurs, qui suit les taureaux pour monter de Camargue au Cailar ou revenir dans les pâturages d’hiver. Ce pesage se trouve avant le pont des Tourradons, que connaissent bien ceux qui fréquentent les prés du Cailar, dans les marais du Bordel.
Pour venir de Camargue aux prés d’été, les taureaux passent à Sylvéréal, Montcalm, prennent le raccourci de la Malgue, montent sur le lévadon du Bordel et arrivent au pont des Tourradons. Ils sont de suite au mas de Bourri et touchent au Mauvinedo.
Ce passage que les Vauverdois permettent de traverser, évite le détour au pont de Gallician ou au pont de Soulier, près d’Aigues Mortes. Les manadiers apprécient, en rechignant peut-être, un peu le geste des Vauverdois, mais ils sont bien obligés d’en passer par là, car d’un autre côté ils devraient aussi traverser des communaux et rien n’indique que les municipalités de Saint Laurent ou d’Aimargues ne seraient pas plus exigeantes que celles de Vauvert.
Une chose encore en faveur des Vauverdois : lorsque les inondations chassent des prés du Cailar les manades, celles-ci se réfugient après le pont Rouge « dins li courrejao » et souvent des fois li bioù « brecon » un peu dans le territoire de Vauvert et tout cela se paie avec des courses que les habitants des deux pays, dieu merci, aiment tant et même plus que de l’argent.
Autrefois, il y a cinquante ou soixante ans, les manadiers ne fournissaient qu’une course chacun, mais un jour, Papinaud eut une histoire avec les Vauverdois, il était cependant de Vauvert, si je ne me trompe, et pour arranger l’affaire il offrit une deuxième course.
L’expérience fut jugée favorablement par les habitants du pays de cardinal de Cabrières, et ils exigèrent à ce moment là deux courses par manadier. D’ailleurs entre Vauvert et le Cailar, les manadiers ne savent jamais exactement ce qu’ils fournissent. En plus des courses de nuit, de jour, des abrivado, des bandido, il y a aussi le concours qui était la raison de cet article et dont nous ne pourrons nous occuper que dans un prochain numéro, ayant assez parlé du Cailar et de Vauvert pour aujourd’hui.