Retour sur une catastrophe.
Lucien ANDRÉ dans un article paru en janvier 1974, dans l’émotion du moment, revient sur la catastrophe advenue à la manade Aubanel le 5 décembre 1973 : au moins 65 taureaux de la manade se sont noyés dans les eaux troubles du Vistre.
Il ébauche le mouvement de solidarité qui se manifesta immédiatement
Les photos - non signées - sont très certainement de Jacques Antoine.(NdR)
Désastre à la Manade Henri AUBANEL BARONCELLI
I Proumie vounfié de l’aurasso Feroujo s’adraiant toujours per lou même camin Mount a passa touto sa raço La bouvino acoumplis la lei de soun destin |
Marquis de BARONCELLI |
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Mercredi 5 Décembre, la nouvelle s’est propagée très tôt.
Des taureaux de la manade AUBANEL ont péri noyés dans le Vistre, au cours de la nuit écoulée.
Cette catastrophe, car c’en est une, c’est Fanfonne qui nous l’a apprise au Mas de Praviel où nous lui rendions visite. Nous voulions tous encore douter, et très vite, nous avons quitté notre Hôte pour nous rendre au Cailar.
En bordure d’un chemin de terre truffé de cailloux, nous rencontrons les rescapés de la manade qui, dans un pré, sont à brouter et à regarder les curieux.
Nous atteignons peu après le Vistre, où un spectacle désolant déchire de paysage hivernal. Un premier lot de cadavres gonflés est là, et le coeur nous serre aussitôt. L’eau, deux fois immonde, immobile et sombre, les a gardé, emprisonné la nuit durant, et durant de longues heures avec une grande partie de la manade, richesse d’un manadier sans doute, mais surtout richesse de la Camargue, terre qui nous est si chère à tous.
Que s’est-il passé ?
Quel a été le point de départ de ce drame ?
C’est la question que tout le monde pose et à laquelle nul ne peut répondre. C’est le mystère le plus complet que ne peuvent élucider les hypothèses qui se bâtissent hâtivement.
Nombreux sont ceux qui, venus sur les lieux du désastre, qui dit-on, n’a jamais eu son pareil, sauf si ce que nous disait un vieux Cailaren se vérifie. Il nous affirmait en effet, que quelque chose d’aussi terrible s’était passé avant la guerre de 14 !
Pourquoi les taureaux se sont-ils jetés dans la rivière ?
Qui a pu leur faire peur, tant soit-il que quelqu’un ou quelque chose leur ait fait peur...
L’un d’eux, effrayé, s’est-il écarté du pré et jeté à l’eau et l’instinct grégaire aurait fait le reste ?
On peut supposer mille choses. Toujours est-il que lorsque les taureaux furent à l’eau ils ont tenté désespérément, cela ne fait aucun doute, à échapper à la mort qui les gelait, à vaincre l’emprise de l’eau. Les rives abruptes et croulantes du Vistre, son fond vaseux ont rendu inutiles les efforts des animaux.
L’émotion nous prend à la vue du talus mortel martelé par les sabots de devant des condamnés à la noyade, dans une eau polluée assurément.
Entre la pointe d’Abran et l’écluse de Saint-Laurent d’Aigouze, on a retiré 65 cadavres, à l’aide de pelles, de camions, de tracteurs.
La catastrophe n’a laissé personne indifférent et tous les afeciouna en ont été bouleversés.
Ce n’est pas sans tristesse que nous avons rencontré, allongés, entassés ici et là, tous ces cocardiers qui ont fait notre bonheur au cours de la saison écoulée et que nous avons suivi, au soleil des pistes avec un plaisir chaque fois renouvelé Martinou, Bénédictin, Guépard, Aimarguois, Cabussaïre, Lou Condé, Marseillaise, Polyvestre, Petite Cocotte.
Les autorités ont été alertées ainsi que les services vétérinaires qui ont procédé aux prélèvements qui s’imposaient. Nous ne pouvons donner, pour l’instant, les résultats des analyses.
Le désastre est grand et nous touche grandement, comme il a touché tout le monde.
Des années de travail sont anéanties.
C’est un rude coup pour la manade AUBANEL, qui a toute notre sympathie et que l’on souhaite voir rapidement se redresser de ce revers tragique.
Henri AUBANEL saura réagir, d’ailleurs il nous a dit qu’il continuerait comme par le passé à faire progresser son élevage, qu’il va s’employer à reconstituer dès maintenant !...
Appel de la Fédération des Sociétés Taurines de France
Clubs taurins, Amis Aficionados,
L’effroyable catastrophe qui vient de frapper la manade AUBANEL DE BARONCELLI a bouleversé le monde de la bouvine.
Tous les meilleurs éléments de l’élevage ont disparu, et aussi les taureaux d’abrivado. Les Afeciouna comprendront ce que cela signifie.
L’amitié et la générosité de l’Aficion doivent se manifester à plein.
Les manadiers aident leur confrère.
Je lance un appel — car il s’agit de la solidarité de tous les gens de taureaux — à la section Corrida et à la Course Landaise.
Mais je m’adresse surtout à vous, Provençaux et Languedociens, qu’anime la « fé di biòu ».
Il faut refaire les bêtes d’abrivado. Il faut refaire les cocardiers. Il faut que revive la manade du Marquis.
Il faut de l’argent — vite !...
Les comptes vous seront rendus, et sur les sommes recueillies et sur leur emploi.
C’est une lutte sacrée que nous devons tous ensemble mener contre un mauvais destin.
Faites que ce soit, pour l’Aficion, une nouvelle victoire.
Adressez vos dons au Trésorier Fédéral :
M. Etienne BRUGUIERE - 19, rue Frédéric-Mistral
34400 LUNEL