J.P DURIEUX nous invite à grimper sur une charrette menée par J.P GELY, un autre gardian de la manade LAFONT. Un peu émus, nous nous lais-sons conduire à notre rendez-vous...
Ils sont là près de l’abreuvoir en pierre, immobiles, inquiétants, noirs...
Ourias moucheté de blanc, à côté de lui Ventadour, Cabanier, Mauguiolen, Trajan énorme avec son poil d’hiver dru et frisé qui hume l’air dans notre direction, inquiet, presque agressif, Baraïe, Don-Juan "une petite maille" nous dit J.P DURIEUX "mais une bonne bête ! " comme tous les cocardiers réunis dans ce pré.

_ Pour ces gens habitués à la rudesse des choses nous faisons un peu, à juste titre, figure de maladroits c’est pourquoi J.P DURIEUX a préféré nous asseoir aimablement sur des ballots de paille. Ainsi juchés et bien que dominant par notre situation cette assemblée muette, nous ne sommes pas vraiment rassurés.
A cette époque de l’année, les conditions de vie sont idéales pour les taureaux, des hectares de liberté, de l’herbe ou du fourrage, pas d’homme hormis les gardians, une température bien plus clémente que les chaleurs de l’été. D’ailleurs tous sont en parfaite condition physique et très imposants. Ce repos hivernal est cependant bien mérité car le travail qu’on leur demande de fournir pendant la saison des courses est parfois un peu stressant. "Un bon cocardier doit avoir un moral d’acier" nous explique J.P DURIEUX. Une vie qui ne suit pas vraiment des rythmes naturels mais, somme toute, pas désagréable !

Nous quittons le pays de la Tour D’ANGLAS pour nous rendre sur une langue de terre marécageuse située entre le Vistre et le vieux Vistre, où paissent les autre mâles. Ici beaucoup d’eau, beaucoup d’oiseaux aussi, venus picorer les derniers vers avant que la terre ne durcisse. En hiver ces terres basses sont dangereuses pour les animaux et les hommes ; "un coup de Vistre et en huit-dix heures on a un mètre d’eau par endroit !" déclare notre guide, il nous faut alors évacuer les bêtes très rapidement.
C’est par ailleurs ici qu’en 1973 deux gardians amateurs ont malheureusement perdu la vie au cours d’une de ces inondations fulgurantes.

Les taureaux, J.P DURIEUX nous en parle longuement. On sent qu’il les aime tous, mieux il les vit quotidiennement. Pensez donc, tant d’heures passées à les surveiller, tous les jours des dizaines de Km de clôtures à vérifier, quand il ne faut pas distribuer de l’avoine ou du fourrage les jours où sur la terre gelée l’herbe se fait rare, comment dans ces conditions ne pas s’y attacher définitivement ?

- 11h30. Nous arrivons dans les prés des HOURTES. Le gardian donne deux ou trois coups de sifflet et nous sommes en quelques secondes littéralement assaillis par un troupeau de vaches, de génisses et "d’anoubles".
Ils reconnaissent la charrette et viennent quêter un peu de nourriture. Mais la paille raide et insipide que nous transportons ne les inspire heureusement pas (bien que plus petites que les mâles les vaches sont armées de belles cornes pointues que je préfère voir de loin !).

Seul un énorme animal que notre présence sur les ballots ne gêne pas du tout, vient tirer du bout des dents sur quelques tiges séchées qui dépassent. "Allons MOÏSE , tu ne vas quand même pas manger de la paille !" le houspille J.P DURIEUX.
"Ce matin MOÏSE me suivait depuis dix minutes alors que je réparais une clôture, quand il me pousse du museau dans les barbelés... pour s’amuser bien sûr ! Il faut vous dire que ce taureau a été élevé au biberon et ne sait plus très bien où il en est", un peu minotaure ce MOÏSE là !
Mais l’animal reste sauvage, mieux vaut se fier à ses grandes cornes.

J.P DURIEUX nous présente les cocardières dignes de ce nom (elles le sont presque toutes !) et cite à chaque fois leur lignée qu’il connaît sur le bout des doigts. Certaines d’entre elles sont visiblement pleines ; en principe chez l’éleveur qui nous reçoit aujourd’hui la période de vêlage s’étale de janvier à mars. La vache apparaît comme l’élément clef des méthodes de reproduction pratiquées par les manadiers sur leur élevage. Le plus souvent (quand son état de mère le lui permet) la vache court et la sélection s’opère au vu de son comportement en piste ; avec "un peu de chance" une bonne cocardière donnera de bons produits. Bien entendu le choix de nombreux éléments est laissé au hasard et l’hérédité chez le taureau est plus le fruit de tâtonnements successifs que d’une génétique impossible à appliquer à la lettre. Mais les résultats sont plutôt encourageants.

Qui se fierait encore au hasard en 1986 ?

— Au mas des HOURTES s’achève notre visite. C’est une grande maison de maître fleurant bon le cuir et le pain de campagne : des livres sur tous les murs, une profusion d’objets beaux et insolites, de grandes dalles et des tapis persans, des fauteuils accueillants, des tentures, de la pierre et du bois partout, un feu couvant sous la cendre, un air d’opéra en suspens, un chat immobile, indifférent au coassement des reinettes minuscules cachées sur les plantes qui s’épanouissent dans la véranda en rotonde...
Un mélange de raffinement et de simplicité un peu à l’image de notre hôte.
Dans sa cuisine à l’ancienne, J. LAFONT, souvent interrompu par des coups de fil, pile l’ail, retourne le sandre qui grille dans le four à bois et nous offre un délicieux vin blanc.
Dehors, nous attend la table dressée, face aux prés ensoleillés des HOURTES, face aux taureaux...