Le taureau est resté à l’état mythique dans l’âme méridionale et il à sa place dans la première littérature, celle que les peuples racontent à leurs enfants. Toutes les histoires que content les grand-mères dans les pays taurins font une place au "Biou" et on parle toujours de l’animal qui a défoncé tel ou tel objet, émerveillant le monde par sa puissance. C’est un peu le méchant loup mais plus brutal, plus noble et plus franc.
Le Marquis de Baroncelli a trouvé une subsistance encore plus vivante du culte de ce Mythe.

A l’occasion d’une cours dans la petite ville de Nages, où l’on a découvert d’ailleurs il y a peu de temps, une cité préhistorique, il raconte qu’après avoir conduit l’abrivade jusqu’aux arènes, il fut fort surpris de voir les jeunes femmes du pays accourir avec leur dernier né pour l’élever, comme une offrande aux taureaux réunis dans l’arène et qui, serrés les uns contre les autres , devaient regarder d’un air étonné et apeuré.

Aubanel, gendre du Marquis, qui conte cette histoire, ajoute qu’une vieille femme lui donna l’explication de ce que Baroncelli, au courant des coutumes de toute la bouvine ne la sut point.
Les femmes venaient présenter leurs fils aux taureaux pour les protéger contre le mal venu d’en haut et leur donner la force et la vaillance caractéristiques de ces animaux.
Certains îlots taurins existent à l’intérieur des terres, assez loin de la Camargue, et possèdent aussi un amour du jeu taurin égal a celui qui se manifeste au berceau de ce jeu. D’après certain, ces îlots seraient des points de pénétration pas les vallées, de marchands crétois et phéniciens. "L’aficion" y est restée au cœur des descendants pour qui la course de cocarde a remplacé les jeux originels de la race.

Restés latents, les témoignages des fêtes taurines réapparaissent dans notre histoire après des siècles de Moyen-âge. Les taureaux servent alors comme bêtes de boucherie et aussi comme bêtes de trait. C’est, en effet, le plus clair de leur emploi, et on utilise pour les spectacles que des taureaux particulièrement méchants ; les autres servaient aux labours, suivant une technique assez curieuse et dont le souvenir reste encore dans les esprits de certains vieux gardians. On liait un taureau jeune et novice à côté d’un "dountaïre, vieil animal bien domestiqué. Pour cela, on introduisait le jeune animal dans un lieu permettant d’évoluer au-dessus de sa tête sans risque : les poutres d’une grange ou d’un hangar par exemple. On laissait tomber un lasso autour des cornes du bouvillon, puis on le plaçait au joug, à l’aide du lasso, à coté de son mentor. Lorsqu’on avait terminé l’opération, on lâchait les animaux et on recommençait le labour. On pouvait difficilement maîtriser les efforts violents du jeune taureau, mais finalement il était possible d’utiliser ainsi l’animal pendant deux heures pour le travail. Pour le relâcher, on avait préparé au départ une corde nommée "tire-molle", qui permettait, à distance, de desserrer le nœud coulant fixant l’animal au joug. La bête libérée, il fallait s’en remettre à ses jambes et à Notre Dame du bien-Courir, comme dit Marie Mauron, ou encore "serrer son souffle et faire le mort" méthode prescrite par un Evêque d’Arles, Quiqueran de Baujeu, qui fut le premier à nous laisser une belle description de la Camargue dans son ouvrage "Provence louée".

Ces exploits se pratiquaient il y a une centaine d’années. En effet, Fanfone Guillerme, la manadière de Praviel, tenait cette technique de Rissolas, son maître en "Bouvino" qui l’avait pratiquée lui-même.
D’autre part, Jean Rat, gardian de Combet était, paraît-il, un des derniers à avoir labouré avec des taureaux sauvages.

Cette pratique nous semble aujourd’hui une méthode violente et dangereuse ; on comprend fort bien que l’on ait introduit des chevaux bretons en Camargue, de manière à grossir la race locale afin de pouvoir l’utiliser au travail, malgré la répugnance des gardians à déshonorer un cheval de selle en le mettant dans les traits.

Le taureau était donc plus rarement utilisé pour les courses qu’il ne l’est à notre époque, mais nous trouvons quand même de nombreux passages relatant des festivités taurines dans la chroniques de Provence.
Certes au départ, le "jeu" de force et d’adresse du valet de ferme" était un spectacle, et le taureau passa rapidement des champs à l’arène lors des fêtes extraordinaires, en particulier des visites royales.

En 1402, le comte de Provence, roi de Jérusalem, assista en Arles à une bataille entre un lion et un taureau, ce dernier eut le dessus.
Catherine de Médicis, nous dit Noble de la Lauzière assista avec son fils Charles IX à des courses de chevaux et le, lendemain a des combats de taureaux.
Mais l’essentiel du spectacle était souvent une démonstration de ce que nous appellerions de nos jours, une "ferrade"
Quiqueran de Baujeu en décrit une sous Henri IV ; puis en 1622, Louis XIII assiste à une lutte entre les gardians et leur bétail, admirant les efforts des hommes parvenant à maîtriser les puissantes bêtes pour les marquer au fer.
Tout ceci n’était pas encore proche de la course sous sa forme actuelle, mais déjà sans doute, le razet devait servir à éviter le coup de corne de la brute lancée à toute vitesse.
Ces spectacles étaient renommés dans la région et se reproduisaient de plus en plus, à mesure que leur vogue s’étalait. Bouzanquet indique que par faveur spéciale, le célèbre pont d’Avignon était dispensé de péage pour les taureaux allant courir.

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