Le séjour dans notre pays des Martinets, qui s’étend du mois d’avril au début d’août, est plus bref que celui des Hirondelles mais leurs vols groupés, leur vitesse prodigieuse, leurs cris perçants rendent leur présence familière à chacun de nous.

Du moins connaissons-nous bien le Martinet noir (Apus apus) et le Martinet pâle (Apus pallidus), qui ont l’aspect d’une grande hirondelle aux ailes très effilées.

Le Martinet à ventre blanc (Apus melba) est plus rare dans nos contrées.

Martinet à ventre blanc

Il se différencie du Martinet noir par une plus grande envergure et par son ventre de couleur blanche.
On peut voir parfois quelques Martinets à ventre blanc poursuivre leur propre chasse parmi les Martinets noirs, mais qui ne se mêlent pas à leurs vols groupés.

Martinet noir

Le Littré [1] fait dériver le nom de Martinet du patronyme Martin.
En provençal le Martinet est nommé Martelet, nom qu’il devrait, indique le Trésor du Félibrige à la forme de ses ailes étendues rappelant celle d’un petit marteau.
On lui donne aussi, en raison de sa forme ou de son comportement, les noms de :
— Barbeirou,
— Barbajòu,
— Aubarestié ou Balestrié (arbalétrier),
— Copo-vènt (coupe-vent),
— Fauci (faucille),
— Rateiròu (petit épervier),
— Esquirounèu
ou
— Giscle (pour son cri).

Le Martinet à ventre blanc est nommé
— Gros Barbeiròu,
— Grand-aubarestié,
— Grand-balestrié.

Si le Martinet à ventre blanc niche dans les rochers, le Martinet noir choisit souvent de faire son nid dans les agglomérations, sous les tuiles de nos génoises où il s’engouffre en ralentissant son vol et d’où il prend son essor en se laissant glisser.
Les Martinets ne peuvent en effet se percher et ne peuvent prendre de repos que couchés sur le ventre dans les creux qui leurs servent de nichoir. On dit qu’ils se reposent, voire qu’ils dorment en volant.

Excellents voiliers atteignant des vitesses supérieures à 100 km/h, ces oiseaux peuvent en effet aussi se laisser glisser longuement dans les airs sans battre des ailes.

De cette aptitude au vol résulte l’atrophie des pattes qui sont réduites à de simples moignons. D’où le nom d’apodes (sans pieds) que leurs donnaient les Romains concurremment à celui de cypsèles.

Pline (H.N. - L. X.-XXXIX) [2] nous dit de ces oiseaux que "ce sont eux qu’on voit partout en mer, et, si longtemps que les navires voyagent, ,si loin qu’ils poussent, jamais ils ne s’écartent assez de la terre pour que les apodes cessent de les survoler".

En raison de cette atrophie des pattes, un Martinet tombé à terre ne peut reprendre son vol. Il lui faut la main secourable de l’homme pour qu’il puisse regagner son empire des airs.
Cette aide pitoyable ne va pas sans danger si l’on ne prend point garde aux griffes crochues de l’oiseau, qui peuvent se planter dans la main en une étreinte si forte, que l’on va jusqu’à dire qu’il faut, pour s’en délivrer, couper les pattes de l’oiseau. En fait, pareille mutilation n’est pas indispensable qui est pourtant attestée, mais dans un but rituel, en d’autres contrées que la nôtre.

Les naturalistes ont retenu ce caractère anatomique de l’atrophie des pattes du Martinet, pour le ranger dans le sous-ordre des Micropodiformes, famille des Micropodidés, de micro, petit et podos, pied.
On le distingue donc des Hirondelles, famille dans laquelle Linnée l’avait rangé.

Mais les Martinets ressemblent tant aux Hirondelles, par leur forme et par leurs moeurs, que la classification populaire ne fait pas cette distinction.

L’Héraldique non plus qui désigne, en terme de blason, Merlette, un oiseau représenté dans les écussons "sans pattes ni bec". Il ne s’agit point de la Merlette, femelle du Merle, mais de l’Hirondelle, et plus précisément du Martinet, dont le bec tout petit et les pattes atrophiées ont suggéré cette mutilation.

Merlette

Merlette étant dérivé de l’anglais Martlet ou Mertlet, ancien nom du Martinet, que nous retrouvons dans le provençal Martelet.

Cet oiseau migrateur qui revient fidèlement dans les mêmes lieux symbolisait les cadets des familles anglaises qui allaient s’établir au-delà des mers et voyageaient beaucoup.
Mais ce choix du Martinet en héraldique était considéré aussi, nous dit le Baron de Coston dans son ouvrage sur l’Origine des noms propres et des armoiries, comme étant un emblème des mutilations subies par les Croisés dans les combats.

En fait ce blason illustre un symbole fondamental qui nous est livré par l’Elucidàri de las proprietaz qui dit de l’Hirondelle :
"No manja ni pais mas en volant e non a paor d’auzel de cassa"...
L’Hirondelle ne mange et se repaît qu’en volant, et n’a peur d’aucun oiseau de proie...

Libéré, par la rapidité et la puissance de son vol, des basses contingences matérielles et des soucis terrestres, capable d’éviter tous périls et embûches, cet oiseau est par excellence le support symbolique de l’ascèse de l’âme.

Mais ce Martinet qui se coupe le bec et les pattes pour ne plus appartenir qu’au ciel, n’en est pas moins soumis à de tristes tracas puisqu’il est parasité par l’Hippobosque du Mouton, l’infâme Barbesin.
Voir sur ce site : mouche-plate *

T. du Felibrige : barbesin

Les bergers l’accusent même de le propager dans nos pays, au grand dam de leurs bêtes puisque la pullulation, au mois de mai, de cet insecte parasite coïncide avec le retour sous nos cieux du Martinet.

[1Dictionnaire de la langue française, communément appelé « le Littré »

[2Pline l’Ancien : Histoire naturelle : livre XXXVI