Le Cailar, 29 mai 1960

Mon cher ami

Ton évocation de l’année 1915, alors que tu servis ma mère à la garde de la manade, m’oblige a un retour sur le passé, même au risque de t’ennuyer.

Tu sais que nous enfermâmes les Emfores, Bardouine, les Rièges et même le Couvin du Château à ce moment là, en 1906, cela pour le prix de 1500 francs somme qui par la suite évolua jusqu’à trente mille, dernier paiement que je fis en 1938.

C’est donc pendant 32 années consécutives que nous avons battu au Château d’Avignon où les Delbosc furent remerciés en 1938.

Ce qui fait que, selon nos accords, ils n’ont jamais donné un sou pour ces pacages.

Nous avons fait, dans ces endroits, bel élevage, mais il paraît qu’actuellement ils ne valent rien.

J’ai eu un grave "avari" en 29, où, sur les Lionnes, il m’est mort 96 grosses bêtes, cela du froid terrible et aussi de par la faute de mes gardians Baptistin et Paulin, qui pourtant n’étaient pas de gosses.

En 1929, le 10 février, Baptistou vint chercher du vin.
Il me rassurait sur l’état des bêtes.
Je lui dis « mettez tout aux Rièges, car bientôt nous irons à Bardouine ».
J’ignorais qu’avec Paulin, bien que logeant ensemble à la bergerie, ils ne se parlaient pas, et, tirant chacun de son côté, ils laissèrent une centaine de bêtes sur les Lionnes.

Cette année 29, après un hiver assez doux, il fit un froid très violent à partir du 13 février.
Et du 13 au 18, donc 5 jours, 97 bêtes et plusieurs de Blatière périrent frigorifiées, tandis que dans les bois, rien ou presque ne mourut.

Ce qui précède est une anecdote parmi tant d’autres. En voici une autre, moins tragique.
Avec Combet et Galou nous venions de trier une course sur Rédelière, et nous cheminions dans l’eau vers Cacharel. Il y avait un brouillard très intense,, et, plus que jamais, la gase nous parut longue.
Enfin nous arrivâmes à terrain, mais ce fut à l’endroit d’où nous étions partis. Les bêtes, clopin-clopan dans l’eau, nous avaient conduit en bouclant la boucle, à l’endroit d’où nous étions partis et où nous trouvâmes Baptistin, la gaseur, qui déjeunait.

J’ai eu longtemps la nostalgie de ces immenses parages.
Aujourd’hui, je suis blasé de tout, l’âge m’a changé les idées, mais j’ai bon souvenir du lointain passé qui, avec ses joies et se peines, me fait revivre l’ancien temps.
Je suis vieux, j’aurai 78 ans pour la fête d’Aimargues, le 5 octobre prochain, mes jambes abîmées à ma profession ne me portent plus.

J’ai quand même assez bonne santé.
Je suis bien soigné par Noêlly, la veuve d’Albert Chabaud.
J’attends la ...fin !

Bien amicalement à vous.

GRANON

Je m’excuse de tant t’ennuyer, mais si un jour aux Saintes, vous parlez du passé, tu peux raconter ce qui précède.