Il m’a semblé dans l’ordre des choses de rapporter un souvenir personnel à la fois ancien et ayant une fraîcheur de vertes années.
Alors, plutôt que de conter ici mon meilleur souvenir tauromachique, j’ai choisi de narrer le tout premier.

A l’approche des grandes vacances, les employés municipaux nettoyaient les arènes... pardon ! le plan des taureaux, en prévision des courses du 14 juillet et surtout du 15 août. Et, à la sortie de l’école, bien que cela coûtât quelques fessées ou engueulades, on allait "jouer au taureau" sur la piste envahie d’herbe.
On pénétrait dans ce toril à l’entrée duquel l’inscription s’efface : "a l’an qué ven de biòu auren", on regardait ceux des "grandes classes" s’exercer à sauter les poteaux qui servaient de barrière...
Et puis, la fête de Lansargues arrivait enfin !!!

Ce fut ma grand-mère qui me conduisit à ma première course de taureaux, ou du moins à la première dont j’ai gardé le souvenir.
J’avais dû être assez sage durant la semaine et la promesse avait été tenue : J’allais voir les "biòu".
On avait parlé de ça des tas de jours avant :
"— Moun drole... tu vas voir les rasetaïres... et Jalois qui saute le taureau à la perche...".

Ma grand-mère était sans doute une vraie afeciouna.
Mon grand-père, lui, ne voyait pas les taureaux du même œil. Il avait mené sa charrette pour "faire le plan" et il s’inquiétait quelque peu :
"— On ne sait jamais, un bras de charrette, c’est si vite cassé !...".
Peut-être n’aimait-il pas trop les taureaux.

Enfin, avec sa femme, ça faisait une honnête moyenne.

Après bien des années, ce qui émerge d’abord dans le souvenir de mes premières courses se résume à ceci : Le grand soleil, la poussière, la foule, l’ambiance de fête.

Bien sûr je ne saisissais pas encore la qualité d’un raset, la vaillance et l’habileté d’un homme, la combattivité d’un taureau ; mais je ressentais déjà une certaine émotion lorsque le public s’enthousiasmait ou frémissait ; ou quand un bras protecteur enserrait mes épaules lors d’une poursuite achevée tout proche.

Je garde encore souvenance de cet afeciouna qui passait toute sa course sous une charrette, près du couloir du toril, pour faire charger les taureaux à leur rentrée, en s’aidant d’un vieux parapluie et aussi souvenance de la pièce qu’on me donnait pour jeter dans la grande couverture que promenaient les raseteurs en criant : " N’oubliez pas les raseteurs... n’oubliez pas les raseteurs...".

Mes premières courses, j’y repense aujourd’hui un peu, comme on repense à une rare fête ayant quelque chose de familial et de bon enfant...
Voilà !

C’était "La Fête" avec un grand "F".
Aujourd’hui, c’est plutôt le spectacle.
Tout change.
Il n’y a plus de quêtes, plus de charrettes, plus de parapluies. (Rétrograde, dites-vous ?)
On arrose et "bichonne" la piste pour éviter au maximum la poussière.

Mais il reste le soleil et des grands-mères pour conduire les enfants voir les biòu...

Au fait, si je suis afeciounado et revistero — ma grand-mère a peut-être quelque chose à y voir...

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