Un jour, le célèbre Boit-au-Baril, dans un café d’Aubais, interpella la foule :
— « Je gage, dit-il, que nous monterons demain jusqu’à la cime d’Aubais avec une course de taureaux sans quitter notre veste ! . »

Les gens d’Aubais acceptèrent la joute, et Boit-au-Baril, le lendemain, trouva à qui parler lorsqu’il se présenta pour l’abordage, sa veste passée, avec son fils Paquet, avec Double-Pointe et Casimir.
— « Nous vous la ferons quitter la veste !  » hurlait la populace.

Douze fois ils donnèrent l’assaut, douze fois on les fit dégringoler dans la plaine.
C’était un 14 juillet ; il faisait une chaleur torride ; les bœufs laissaient sortir un empan de leur langue ; les chevaux ruisselaient.
— « Grand coquin de bon sort ! braillait Boit-au-Baril, on pourrait voir, alors, que cette bande de vauriens nous fassent dire assez ? »
Et, prenant son dompteur dans l’oreille du bout de son trident, éperonnant son petit cheval, il bondit de nouveau comme un démon sur le peuple d’Aubais.
Les autres le suivaient, enserrant les taureaux.
L’élan, cette fois, est trop fort, le rempart humain est éventré, et les voilà, lancés comme le tonnerre, accompagnés de mille blasphèmes, sur le point de tourner le dernier coude du chemin extrêmement escarpé, tortueux comme les anneaux d’un serpent.

Déjà Boit-au-Baril a saisi le dompteur par la corne ; les quatre chevaux, d’un effort commun, au bord du précipice, se penchent contre les taureaux, se servent de tout leur poids comme d’un levier pour les jeter dans la muraille.

Ah ! une troupe de jeunes gens, qui se réservaient, cachés, sautent au nez des taureaux.
Boit-au-Baril en fait rouler deux : il a passé.
Mais la monture de Casimir, le Matelas, pour éviter de les piétiner fait un écart, elle vient retomber sur le contrefort en pierres sèches soutenant le chemin du côté du précipice ; les pierres basculent sous ses pieds ; ses jambes de derrière frappent dans le vide.

Casimir, pour l’alléger, veut sauter du côté du chemin ; il reste un pied pris dans l’étrier.
Le Matelas soulagé se relève précipitamment, repart à la suite des boeufs ; en sentant ce poids qu’il traîne, il prend peur, se met à faire des sauts de mouton, à ruer, et, vlan ! vlan ! à coups de pieds, il fait gicler la cervelle du pauvre Casimir tout le long du chemin jusqu’à ce que, arraché de l’étrier, il reste mort sur la place.

Les gardians, abandonnant les taureaux, reviennent sur leurs pas, la foule se rassemble, et, pendant ce temps, le Matelas, enragé, tout éclaboussé de sang, ramasse les boeufs, les poursuit, les mord, les pousse et finit par amener, à lui tout seul, la course devant l’écurie.

Et le peuple d’Aubais, grondant, seulement à moitié calmé, montrait le poing à Boit-au-Baril en lui criant :
— «  Tu la quitteras, la veste, gueusard ! une autre fois ! »"