Lorsque, après avoir, cahoté dans une “draïo” (1) de Crau, on arrive au bord de la Coustière,(2) l’effet est inattendu, riche de tonalités, d’une ravissante poésie, c’est une plaine immense, un champ d’herbes ou l’on est tenté de découvrir la vie secrète qui l’habite et l’anime réellement.
La plaine caillouteuse finit brusquement sans transition, d’un terrain aride et sec, on passe tout à coup à la boue liquide.

C’est le pays du taureau et du cheval sauvages. Les plus illustres manades de Provence ont pâturé en ces lieux, certaines y pâturent encore.
Formé de touffes d’herbes très serrées, plus communément appelée “bauque”,(3) et de joncs enchevêtrés par les vents, le marais de la Coustière déconcerte celui qui s’y aventure pour la première fois. Dans son apparence morne et sa pesante immobilité, le paysage, aux reflets dorés, un air engageant, amical même, une trop grande confiance cependant peut être fatale, sous la touffe de “bauque” que la pluie ou le vent a couchée, le lauron,(4) piège naturel, attend sa proie.

Particulièrement redouté de l’ éleveur, le lauron est un puits sans fond qui alimente le marais. Il y en a des milliers disséminés dans la Coustière. Leurs diamètres sont variés, dans certains une bouteille passerait à peine, dans d’autres une maison disparaîtrait.

Que peut-il, cet instinct, contre les forces de la nature ?
Dans ce marais de la Coustière de Crau, dont la constitution est si particulière pour quelques drames connus, combien de tragédies ignorées ? …
Celle du Grand Sambuc en est un exemple parmi tant d’autres. La légende s’en est emparée, elle permet au conteur de puiser dans un souvenir quelque peu déformé. Au temps où les taureaux et les chevaux sauvages ne reconnaissaient aucune frontière, un homme de bouvine, un gardian de métier trouva la perte de l’honneur encore plus cruelle que la mort.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne le connaissait que sous le nom de “Grand Sambuc” , très peu de personnes savaient qu’il portait le prénom de Virgile, prénom prestigieux entre tous et judicieusement porté par un homme animé d’une foi puissante et communication dont la simplicité forçait le respect.
Quel que soit le temps , il partait tous les jours , monté sur son cheval Camargue, visiter la manade. Il ne laissait à personne le soin de le faire à sa place. Sur la berge du canal d’Arles à Bouc, les pêcheurs de câlins le voyaient souvent apparaître dans la brume humide des matins gris de novembre au moment où l’hiver se fait pressentir.
A cette époque l’eau gagne sur la terre, l’herbe se fait rare, les “vedélières” (6) sont en danger, elles cherches l’abri et la subsistance pour préserver la vie qui déjà se manifeste en elles. Nous le savons, nulle part les saisons ne se marquent plus qu’en Camargue dans la vie quotidienne de la manade.
Le Grand Sambuc veillait sans relâche, donnant aux cycles des saisons toute sa valeur.

Gardian de métier, excellent cavalier aux connaissances profondes, vétérinaire comme le sont tous les gardians de Camargue.
Il était aussi herboriste, décelant dans toutes les plantes de la Crau, leur pouvoir magique." (...)