C’est qu’il est bien difficile pour ces étrangers de se faire une idée, même approximative, de ce qu’on pourrait appeler le mysticisme taurin, de cette quasi-religion du taureau qui fait vibrer les foules méridionales, en abrivado, ferrade, courses et que le marquis Folco de Baroncelli, poète et visionnaire, considérait comme une survivance instinctive des cultes antiques de Mithra et du Minautaure.

Chez-nous, nous disons de quelqu’un qui a la passion du taureau : « as la fé » il a la foi, la passion du taureau.

D’un coté c’est la Vaunage, de l’autre la Vistrenque.
D’ une part c’est Aimargues aplatie au milieu des vignes et jetant comme un trait, la flèche pure et effilée de son clocher, de l’autre, c’est Vauvert, qui, redoutant les débordements furieux du Vistre, s’est penché sur la Costière et surveille de là-haut, la plaine et les étangs.

Quatre routes qui courent à travers la campagne, se sont données rendez-vous en cet endroit et dessinent sur le sol, l’image de la croix latine : dont la tête serait la mer, les pieds les Cévennes et les bras étendus indiqueraient, l’un la Provence, l’autre le Languedoc.

Là, à l’ombre des premiers platanes qui bordent la petite route qui conduit au Cailar, terre de prédilection de la bouvine durant l’été, au bout du champ de Fernand Granon, une stèle se dresse ; simple monument funéraire, surmonté d’un ouvrage de ferronnerie d’art, dû à un artisan su pays, Gédéon Blatière, reproduisant deux tridents croisés, un garrot ou flot de rubans aux couleurs de la manade et, dominant le tout une fleur de lys, symbole de puissance et de royauté.
Puis une inscription laconique : Aficionados, ici est enterré Le Sanglier de la manade F. Granon-Combet
L’attachement et la reconnaissance des hommes, parfois déplacés et qui ne parviennent à émouvoir que leurs auteurs.
Mais, ici, c’est tout un peuple, animé d’une même croyance millénaire, qui s’est associé à ce geste du manadier Granon et qui a accueilli, dans l’enthousiasme de sa foi débordante, cette idée de donner une sépulture à celui qui fut durant de longues années le taureau-roi, le triomphateur de la course provençale, idole des foules assemblées dans les amphithéâtres de nos arènes méridionales.