Il frissonnera dans sa chair sauvage, lorsque passera devant la barrière de pierre qui borne sa vue, la charge désordonnée de l’abrivado.
Il percevra le bruit métallique des étriers qui s’entrechoquent, le martèlement des sabots nus des petits chevaux camarguais et les appels rauques des gardians, excitant ses congénères qu’ils encadrent, en chargeant au cœur de la population bruyante.
Il connaitre la tendresse et l’affection, la plus belle récompense de la gloire ici bas. Il verra la bonne et vieille Madame Anna Granon venir lui offrir, dans le creux de sa main ridée, une poignée d’avoine.
Reconnaissant et attendri, il lèvera vers cette douce femme, magnifique gardienne du foyer, ses yeux remplis de douceur et ses naseaux réchaufferont de son halène les mains, qui firent tant de fois, avec tant de grâce charmante, les gestes rituels de l’hospitalité gardiane.

Chaque jour le manadier Granon, ce gardian à la carrure athlétique, ce belluaire au teint de Sarrazin, qui cache une âme de poète, viendra le visiter.
Sans mot dire, ils se regarderont et un dialogue silencieux, s’établira entre eux. Une multitude de souvenirs assailliront leur pensée. Ils reverront, ensemble, ces années de triomphe et de splendeur, qui ornèrent de leurs plus beau fleurons la couronne de l’aficion et une orgueilleuse mais légitime fierté, les pénétrera tout entiers, juste récompense due à leur ténacité et à leur bravoure.

Et ce sera encore, l’hommage discret, mais combien sensible des gens de la bouvine, de ces humbles travailleurs de terre, qui pousseront avec dévotion, comme la porte d’un sanctuaire, le grand portail vert, pour le voir encore une fois et méditer devant lui.
Dans ces hommes simples, coiffés du petit chapeau Frivole, noir, signe distinctif des purs et fidèles de la marque, il reconnaitra ceux qui durant dix ans il vit autour du rond et qui le suivirent tout le long de sa prodigieuse carrière.
Eux, le regard attendri, respectueux, comme devant une divinité, resteront songeurs, se souvenant des instants d’indicibles transports d’admiration, poussée jusqu’au ravissement qu’il leur procura.
Un frisson les agitera à la vue de ses deux cornes menaçantes, dressées vers l’azur, dont une émoussée par les coups terribles portés contre les barricades, garde la forme arrondie du moignon