Ne quittons pas la figure si attachante du Marquis de Baroncelli-Javon.
Il y a tant d’anecdotes à raconter.

Le Mas du Simbèu est resté gravé dans ma mémoire : une façade blanche que le soleil faisait resplendir, des chevaux blancs qui se promenaient dans la cour et des poules blanches, un tableau d’une rare harmonie.

Mais pour y parvenir depuis la chaussée caillouteuse, une draille impossible par les temps de pluie, où les voitures s’enlisaient et ne sortaient qu’au prix de pratiques artisanales et d’efforts très nombreux.
Après cet incident, il était bienvenu de demander au Marquis pourquoi il ne faisait pas arranger sa draille. Et, toujours avec le sourire, il répondait : "La mairie veut me la faire arranger, mais je ne veux pas, car il viendrait trop de monde.
Je le regrette pour les amis
".

Je lui demandais aussi s’il entretenait de bons rapports avec son frère, Jacques de Baroncelli, le célèbre cinéaste.
Il répondait par l’affirmative, mais il n’oubliait pas de signaler que lorsque son frère venait tourner un film en Camargue, il le tournait en Crau parce que les éleveurs de là-bas étaient plus complaisants et moins à cheval sur les principes de tradition.
Cela n’empêchait pas pour les idoines de remarquer les armures des taureaux, qui n’avaient rien de Camargue.
La fantaisie arrivait ainsi à dénaturer la réalité et il s’en plaignait. J’ai pu d’ailleurs me rendre compte des rapports excellents qui règnent malgré tout entre les deux frères, au cours d’un repas au Simbèu préparé par le Marquis lui-même, auquel était présent un jeune homme qui n’était autre que le neveu du Marquis, et était alors Conseiller à la Cour des Comptes.

C’est sur l’insistance du Marquis, que je fis l’une de mes premières conférences taurines en Avignon, pour le compte du Club Taurin dirigé par M. le Docteur Pons, ancien maire d’Avignon.
Il y avait un public de qualité et j’y fis ce jour-là connaissance avec Madame Jeanne de Flandrésy.

L’élevage du Marquis était de qualité outre ses connaissances personnelles en cette matière ; il faut dire aussi qu’il a toujours été aidé par des gardians de métier.
Le vieux Xavier en connaissait un bout ; et il y avait aussi René Barbut, avant que n’apparaisse Justin Bonnafoux, qui peut se vanter d’avoir mené à bien la manade Santenco et d’avoir aussi contribué à la naissance de la manade Laurent qu’il dirigea pendant bien quelques temps à la satisfaction de tous.

Quand on a connu des taureaux comme Bandot, Cétori, Bajan et autres, on peut être fier d’avoir eu une manade, qui avec un nombre restreint de têtes, pouvait lutter avec la meilleure du moment, en l’espèce avec celle de Fernand Granon.

Un jour Anna Combet demanda à son fils : "Qu’est-ce que c’est ce Bandot ?", et Granon de répondre : " Pour le Marquis, c’est la même chose que pour nous le Sanglier".
Comparaison ne peut pas être plus flatteuse.

Il y avait aussi chez le Marquis comme partout, des amateurs heureux de venir donner un coup de main, et parmi eux un jeune gardianoun devenu écrivain camarguais : René Baranger. [1]

Il y a eu aussi quelques coups de revers, comme il en existe dans l’élevage du taureau.
C’est en 1937 que, le Marquis ayant cédé des taureaux à son gendre M. Henri Aubanel, eut des ennuis avec une certaine fièvre aphteuse.
La thérapeutique n’était pas aussi rapide que de nos jours et le Marquis nuitamment m’amena à Beaucaire : sa propre course composée de Printemps, Cinéma, Clanclan, Baloun, Coulobre, Gitan. Le Greloun n’avait pu faire parti du voyage ayant un museau très enflé, dû, aux dires du Marquis, à un coup de crochet.

Outre que la course fut pauvre et pour cause : certains des six taureaux perdirent leurs sabots en piste.

Cette supercherie nuisit quelque temps à nos bonnes relations, qui reprirent par la suite, car qui pouvait se fâcher avec le Marquis respecté à juste titre partout !
Un tournant de l’élevage était cependant pris et le plus gros du troupeau, les grands cocardiers surtout furent dirigés par Henri Aubanel qui apprit bien des choses au contact de son beau-père.

[1