Le Madur était un taureau croisé espagnol, rouge foncé et zébré de la fière race du Boucabeu qui d’un saut et sans toucher nulle part passait dans les barricades avec autant d’aisance que les razeteurs, et du Valdemore dont on conserve précieusement les magnifiques cornes à l’Esquinau.

Le Madur, il y 15 à16, ans était le roi des cocardiers ; de ceux du moins qui défendaient leurs rubans farouchement et jusqu’au crime.
A Beaucaire il ouvrit le ventre à un certain Balbero qui l’avait approché avec trop de hardiesse.

Mais il n’est d’ardeur qui ne faiblisse, l’âge à raison des plus vigoureux.
Un jour vint où les triomphes cessent, et celui de la première défaite n’est guère éloigné. Les taureaux ont leur Waterloo, comme les hommes et le Madur vit l’audace des razeteurs croître autour de lui , à mesure qu’augmentaient les années de Camargue.

Bientôt on le décocarda sans grande fatigue et sans grand danger.
La bête s’en montra très affecté. Dans l’arène elle prit querencia et n’opposa plus aucune résistance, tirant « a braso » mélancoliquement près du toril.
Au pâturage il s’isola…
Un jour, le gardian s’approcha du Madur, ouvrit devant lui le sac d’avoine et pendant que le vieux taureau goûtait a la provende, , il lui attacha une forte sonnaille autour du cou.

Le Madur releva brusquement la tête, le gardian s’écarta prudemment du coté de son cheval, mais le taureau se tourna vers lui que de grands yeux tristes et chargés, eut-on dit de reproche…

Dompteur, il était dompteur…

Le Madur dut évoquer les rires et les lourdes plaisanteries qui accueillent dans l’arène l’entrée de cette bête aux fanons flasques et pendants, dont la mission est de ramener les jeunes ternens au toril, un peu comme une mère-nourrice. Il dut aussi se jurer de ne jamais offrir nulle part, ce grotesque spectacle, car il cessa de manger…

Debout, nuit et jour, tourné vers Arles, il beugla désespérément pendant des heures et des heures.
Puis il se tut.
Le gardian le trouva mort.
L’orgueil bien plus que l’âge l’avait tué.