L’AFFAIRE DE BEAUCAIRE
Une histoire d’abrivado en ville, de nos jours dénommée : ’’spectacle de rue’’.
L’affaire de Beaucaire.
Ça s’est passé en 1932, un 14 juillet
Principale source de revenus d’une manade qui ne pouvait tenir le haut de la course ni en course libre, ni en corrida de toros, l’animation des fêtes votives mobilisait les Lescot dans les périodes des grands rendez-vous : week-end pascal, pont Ascension-Pentecôte, Fête nationale, 15 août .
Et cette animation comprenait la traditionnelle abrivado qui de tout temps, et encore bien sur de nos jours, est une spécialité des « Lescot ».
Il en fut à Beaucaire ce 14 juillet là.
Albert Lescot, assisté de deux gardians, conduisit une abrivado de trois taureaux. Un spectateur nommé Miguel Vasquez, ouvrier des « Ciments Français », porta plainte contre le manadier et la commune de Beaucaire. Il n’est que de lire les attendus du jugement du tribunal civil de Nîmes pour suivre l’affaire :
" Attendu que pour la fête nationale de 1932 la ville de Beaucaire, suivant une tradition des plus anciennes avait organisé divers spectacles publics comprenant principalement des manifestations tauromachiques, et qu’à cet effet, elle s’était adressée à Lescot, manadier à Saint Martin de Crau.
Attendu que le programme comportait notamment une abrivado de 3 toros, c’est-à-dire que ces 3 animaux amenés dans un char aux abords de la ville devaient en être débarqués et conduits ensuite en liberté aux arènes par leurs gardians montés à cheval, en suivant un itinéraire nettement déterminé et porté à la connaissance du public par voie d’affiches.
Attendu qu’au cours de cette opération, un sieur Vasquez ayant été blessé par un des taureaux, a assigné Lescot en réparation du préjudice qui lui a été causé et que celui-ci a alors appelé en garantie la commune de Beaucaire qui, suivant le contrat réglant les rapports de la ville de Beaucaire et du manadier, s’était engagée à répondre des accidents occasionnés par les taureaux échappés dans la ville jusqu’à réintégration de ce bétail dans le char.
Attendu tout d’abord que Vasquez basant son action sur l’article 1385 a valablement dirigé son action contre Lescot qui, aux yeux du public, était présumé voir conservé la garde des animaux conduits par ses préposés et destinés au spectacle organisé par la municipalité.
Attendu, il est vrai, que Lescot soutient qu’en fait et en vertu même du contrat, il était déchargé de la garde juridique des animaux qui au moment de l’accident était passée sur la tête de la commune de Beaucaire.
Attendu tout d’abord sans rechercher quelle est la catégorie dans laquelle doivent être rangés les taureaux camargues suivant qu’on les considère comme animaux domestiques ou sauvages, il est cependant hors de doute que ce sont là des animaux spéciaux qui ne peuvent être efficacement conduits, surtout lors d’une abrivado, que par les gardians qui connaissent leurs habitudes et sont seuls susceptibles d’écarter autant que possible les dangers d’accident au cours de réjouissances publiques auxquelles ils participent.
Attendu, dans ces conditions, que lorsque de pareils animaux sont loués à des tiers en vue d’une manifestation tauromachique, il est hors de doute que le manadier n’en conserve pas moins la garde de ses animaux conduits par lui-même ou les gardiens, ses préposés, à moins toutefois que des stipulations formelles n’aient momentanément transféré cette garde aux organisateurs des courses ou des abrivado.
Or attendu que dans l’espèce le contrat intervenu le 7 juillet 1932 entre la Compagnie de Beaucaire et Lescot ne contient pas pareille clause, mais qu’au contraire il y est stipulé que les frais de gardien et de bétail restent à la charge du manadier, et qu’il y est surtout prévu que la ville garantit vis-à-vis du manadier les accidents pouvant se produire au cours de l’arrivée par le bétail, clause qui serait sans nullité si la garde des toros n’était plus restée à la charge de Lescot et était passée à celle de la commune.
Attendu, dans ces conditions, que Lescot doit donc être déclaré présumé responsable de l’accident causé a Vasquez par un de ses taureaux mais que la ville de Beaucaire doit le relever et garantir des condamnations qu’il pourrait encourir, et en vertu du contrat du 7 juillet 1932.
Attendu que la commune de Beaucaire, se trouvant ainsi substituée à Lescot, est fondée à se prévaloir comme il pourrait le faire lui-même des circonstances de fait ou de droit qui pourraient détruire entièrement cette présomption de responsabilité ou tout au moins établir une responsabilité partagée avec la victime de l’accident.
Attendu qu’a ce dernier point de vue la commune de Beaucaire offre de prouver des faits concluants et pertinents et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à faire écarter ou tout au moins à atténuer la présomption de l’article 1385 du Code Civil, qu’il y a donc lieu de l’autoriser à faire cette preuve en réservant à Vasquez la preuve contraire.
PAR CES MOTIFS Le tribunal, jugeant publiquement, contradictoirement, en matière ordinaire, en premier ressort ;
Ouïs Maîtres De Montaud Mance , Beauquier et Vialat, avocats, le ministère public entendu ;
Après en avoir délibéré ;
Dit et juge que Lescot a conservé la garde juridique des toros ayant causé l’accident du 14 juillet 1932, mais que la commune de Beaucaire doit relever et garantir Lescot du montant des condamnations qu’il pourrait encourir en tant que responsable du fait de ses animaux.Mais avant dire droit au fond autorise la commune de Beaucaire à prouver les faits par elle articulés et de nature à influer sur la présomption de responsabilité de Lescot dont elle est garante, c’est-à-dire :
-1/ que le 14 juillet 1932, comme toutes les années, la commune de Beaucaire avait organisé une course de toros gratuite dans les arènes et qu’il est d’un usage immémorial dans la localité qu’en pareille circonstance les taureaux sont mis en liberté dès l’arrivée du char à l’entrée de la rue Nationale, parcourant la dite rue, les rues Ledru-Rollin, des Bijoutiers et Frédéric Mistral, et arrivent à un cul-de-sac où ils sont capturés et enfermés à nouveau dans le char ;
- 2/ que toutes les rues perpendiculaires à l’itinéraire suivi sont barrées par des entassements de fûts, de charrettes, etc… ;
- 3/ que le 14 juillet 1932, comme toutes les années la population a été avisée au préalable de l’arrivée des toros et, par voie de conséquence, de l’itinéraire qu’ils suivraient d’abord par des affiches, puis par une chevauchée de « gardians » préposés par le manadier à travers les rues susvisées et enfin par des sonneries de trompette avant l’ouverture de la porte du char ;
- 4/ que quoique la population ait été déjà ainsi suffisamment avertie, la commune, à titre de précaution supplémentaire, avait posté tout le long du parcours susvisé des agents et des gendarmes, et qu’en outre les toros étaient escortés de trois gardians préposés de Lescot.
- 5/ que cependant, le 14 juillet 1932, Vasquez a commis l’imprudence de venir se poster en curieux dans la rue des Bijoutiers que devaient parcourir les toros.
- 6/ que bien plus, un de ses animaux s’étant brusquement arrêté dans son parcours, Vasquez n’a pris aucune précaution pour essayer de s’abriter et est au contraire demeuré à sa place originaire, et que c’est dans ces conditions qu’il a été blessé ;
-Réserve à Vasquez la preuve contraire ;
« Comment, pour procéder à l’enquête, Mr Largier, juge, lequel en cas d’empêchement sera remplacé par ordonnance du président, rendue sur simple requête ;
- dit n’y avoir lieu en l’état de mettre d’ores et déjà Lescot hors d’instance ;
- Réserve les dépens »
Et le jugement définitif :
« Attendu qu’il résulte des enquêtes et contre-enquête auxquelles il a été régulièrement procédé, que, si bien la ville de Beaucaire avait organisé l’abrivado du 14 juillet 1932 en se conformant généralement aux usages des années précédentes en ce qui concerne le trajet suivi par les taureaux, les avertissements au public, le barrage des rues, cependant la rue de l’Eglise n’avait été fermée que par des cordes ; que cette fermeture insuffisante avait permis a deux sur trois des animaux conduits aux arènes par les gardians d’échapper à la surveillance de ses derniers, et de se précipiter dans cette voie et de provoquer ainsi une perturbation dans l’organisation prévue et qui normalement devait être suffisante si cet incident ne s’était pas produit ».
« Attendu que c’est dans ces conditions que deux gardians se sont mis la poursuite des animaux échappés et que le seul taureau suivant le trajet normal n’a plus été surveillé que par un gardian ; que c’est dans cette situation que cet animal réservée au passage des taureaux sans que cependant les barrières aient été encore ouvertes ».
« Attendu que ce retour inopiné du taureau aurait certainement été évité si tous les gardians avaient été présents et qu’ainsi cet événement générateur de l’accident est dû à une faute tant de Lescot, responsable en vertu de l’article 1385, que de la commune de Beaucaire, responsable en vertu de l’article 1382 du Code civil par suite du défaut de barrage de la rue de l’Eglise ».
« Attendu en ce qui concerne la responsabilité de Vasquez, que celui-ci comme la plupart des personnes présentes, a pu dans une certaine mesure croire par suite du temps écoulé entre le premier passage du taureau et son retour offensif et imprévu et aussi de l’absence d’agents chargés du service d’ordre, que l’abrivado était terminée et qu’il pouvait sans danger s’engager dans la rue ; qu’ainsi se trouve grandement atténuée l’imprudence grave commise en le faisant sans que les barrières soient ouvertes et que dès lors la part de responsabilité qu’il a encourue se trouve atténuée dans une large mesure ».
« Attendu qu’en tenant compte de toute ces circonstances et des fautes respectives de Lescot, de la commune de Beaucaire et de Vasquez, il y a lieu de dire que la responsabilité de chacun d’eux se trouve engagée au 1/3, que la ville de Beaucaire ; garantissant Lescot, doit donc supporter ces 2/3 des dommages causés à Vasquez ».
« Attendu en ce qui concerne le préjudice subi par Vasquez, qu’il est établi qu’il n’a pu travailler du 14 juillet au 22 août au matin ce qui, compte tenu des jours non ouvrables, fait une privation de salaire pour 32 journée de 1120 francs a raison du salaire journalier de 35 francs gagné par Vasquez à la Compagnie des Ciments Français ».
« Attendu que Vasquez justifie avoir payé 500 francs de frais médicaux et pharmaceutiques ; que ces vêtements ont étés abimés et qu’il y a lieu de lui allouer pour cela une indemnité de 132 francs ».
« Attendu que le pretium doloris doit être fixé a 1200 francs, si bien que le préjudice total subi par Vasquez s’élève à 2700 francs que la commune de Beaucaire doit réparer à concurrence de 1800 francs ».
« Le tribunal jugeant publiquement, contradictoirement, en matière ordinaire, premier ressort ;
« Ouït Maîtres Beauquier, de Montaud-Manse et Vialat, avocats, le Ministère public entendu ;
« Après en avoir délibéré, vidant son interlocutoire du 3 janvier 1934 ;
« Dit que la responsabilité de l’accident dont Vaquez a été victime le 14 juillet 1932, incombe pour 1/3 Lescot, pour 1/3 à la commune de Beaucaire, pour 1/3 à la victime elle-même ;
« Dit en conséquence que la commune de Beaucaire, garantissant Lescot, doit réparer le dommage subi par Vasquez à raison de 2/3.
Messages
1. L’AFFAIRE DE BEAUCAIRE, 18 février 2015, 16:18, par Liberté
Voila une bien belle histoire Bernard, et depuis cette date s’il fallait faire la liste de tous les distraits qui ont laissé des fonds de pantalon sur des cornes, il faudrait des mois voire des années.
Mais que peut on y faire ?
Dans l’encyclopédie des inepties, après les fumeurs qui portent plainte contre les régies de tabac, les voyous qui se retournent en tribunal contre les volés, les raseteurs qui portent plainte contre la FFCC prétextant qu’ils ne savaient pas pratiquer un métier dangereux (rappelez vous d’un qui est devenu hémiplégique...), il y aura toujours des empêcheurs de tourner en rond, des casse-noisettes, des ténébreux, des jaloux...
On a bien ici des anti-corridas.
Et pourtant ils ne risquent rien, ils ne vont pas aux arènes.
Liberté