Le récit qui suit va vous expliquer cette course pas comme les autres

  • Le château de l’Arc était devenu la propriété du célèbre peintre Bernard Buffet, qui ce jour la fêtait ses 30 ans. Sans doute a t’il pensé de fêter cet anniversaire de bien d’autres façons, mais assurément l’influence de ses amis avait-il prévalu.
    Il faut encore y ajouter le cadre de l’ancienne demeure des Jesset du XVIe siècle avec son parc immense, ses allées, ses dépendances, ses appartements, où dans le hall étaient exposées de nombreuses toiles du célèbre peintre.

Bref l’ensemble était fait pour recevoir des hôtes de marque. Ils y étaient notamment Annabelle, Marie Laure de Noailles ; Mme Lanvin et pour conserver son style et sa manière particulière, Jacques Chazot, qui sur le pas de la piscine esquissait un pas de deux.

Les arènes démontables avaient été transportées et mises en place par San Juan, père, avec des gradins confortables. En attendant l’heure et l’arrivée des nombreux invités, des garçons en livrée blanche, comme des costumes civils à la mode de l’époque, passaient avec des plateaux pour servir rafraîchissements et réconfortants.
Enfin l’heure venue, Jean Lafont me demanda de présider cette course qui ne posait aucun problème.

Il avait été amené 4 taureaux : Ramuncho ; Hugo ; Torpilleur ; Cailaren, ils devaient être rasetés par le quatuor de l’époque, mais comme il en a manqué un, il fut remplacé par H. Lopez de St Laurent.
Il ne s’agissait pas a proprement parler d’une course, mais plutôt d’une démonstration devant un public neuf et totalement ignare du monde de la bouvine, qui avait rempli complètement les gradins.

Le premier taureau sort, il s’agit de Ramuncho, il débuta calmement et les attributs étaient primés normalement, tout au moins la cocarde. Mais dès le 1er gland Madame P. Ricard qui était dans l’assistance me faisait parvenir un papier sur lequel elle avait marqué de porter ce gland à 50 000 frs (de 1958) donc pas encore les nouveaux francs, ni même les francs lourds, un ouvrier agricole gagnait 25 000 frs par mois. Il y eut un certain remous dans l’assistance et les dames, qui m’entouraient à la présidence réagirent avec vigueur.
— La Contesse Marie Laure de Noailles notamment prit l’affaire en main pour ce qui concerne l’initiative des primes. Mais s’agissant d’un festival, tout le monde pensait, que c’était là certaines fantaisies.
Cependant l’entracte arrivant après le 2e taureau, Jean Lafont toujours réaliste demande à ces dames, si elles auraient assez d’argent pour payer ces belles primes.
— Pour tout dire, le premier gland de Ramuncho avait été enlevé par Canto à 110 000 fr.
Le deuxième, primé à 20 0000 frs, n’avait pas été enlevé.

Au 2e taureau Hugo, Roger Pascal avait coupé et enlevé la cocarde à 200 000 frs et le premier gland à 10 000 frs. Il enleva encore le second gland à 100 000 frs.

Après de substantielles agapes dans le parc ombragé, où l’on arrivait à confondre les garçons de service et les invités portant à quelque chose près le même costume, retour aux arènes.

Sortit Torpilleur très fougueux. Nos quatre mousquetaires avertis de la réalité palpante des primes annoncées, prirent les choses au sérieux.
Pascal coupa la cocarde à 300 000 frs et Canto l’enleva à 350 000 frs et le second à Lopez à 150 000 frs (il y a eu une omission, car on ne parle pas du 1er gland).

Le dernier taureau était Cailaren, San Juan coupe la cocarde à 60 000 frs et Canto l’enlève à 210 000 frs avec le 1er gland. Le deuxième gland est pour San Juan à 200 000 frs.

Le public ne manqua pas de chaleureusement applaudir les exploits de nos tenues blanches et San Juan infatigable et toujours prêt à en faire davantage, effectua devant l’assistance émerveillée le fameux saut de cheval à cheval .

C’est finalement la somme fabuleuse de 1 620 000 frs, que nos raseteurs se partagèrent ce jour là. On croit rêver, si l’on se reporte à l’année 1958.

Bernard Buffet très sensible à la presse taurine, eut la gentillesse de nous installer dans son bureau pour téléphoner le compte-rendu.

Au retour, bavardant avec nos amis sur cette surprenante course, nous avons voulu en faire partager les péripéties à l’ancien raseteur Champion, qui tenait un café sur la place à St Rémy.
Il nous regarda avec étonnement et pensa que la fée était trop belle, jusqu’au moment, où certains acteurs de la journée passant par là, lui montrèrent par le détail le fruit de leurs généreux efforts.