Lorsque nous prenons place sur les gradins d’une arène, lorsque le raseteur va au devant de la charge du cocardier, nous perpétuons tous un acte dont les premières versions se perdent dans la nuit des temps.
Au fil des articles qui vont suivre, c’est l’histoire des rapports entre le taureau et l’homme - ce que l’on nomme en fait tauromachie - que nous poursuivrons dans cette rubrique.

On veut communément que le noir quadrupède autour duquel gravite toute la Course Camarguaise soit le descendant de l’aurochs. On veut aussi que l’Asie soit son berceau... Serait-il alors venu du pays dont on dit originaire Sara, la patronne des gitans ?..

Il n’en est pas moins vrai que des reproductions de taureaux sont les ornements des parois de grottes où cherchèrent refuge les premiers habitants du grand sud de la France. La datation par la méthode du carbone 14 permet d’avancer une époque précédant de 15.000 ans l’ère chrétienne pour les peintures de la grotte de Lascaux.

Dès lors, on peut écrire qu’un taureau, morphologiquement semblable à celui que nous connaissons actuellement, impressionnait suffisamment nos ancêtres, aux tout premiers balbutiements de la civilisation, près des rives de la Méditerranée. Car bien peu d’animaux, en effet, ont eu le privilège d’être représentés dans les peintures rupestres de cette ère. Le cheval et le taureau furent les plus souvent peints, si bien que l’on peut dire qu’ils font partie des premières oeuvres artistiques exécutées par l’homme.

Imaginons comment l’homme de ce temps intégrait le taureau dans son existence. A l’évidence, ce ruminant fut d’abord pourvoyeur de nourriture. Mais, très vite, la fougue, la force, l’armure de ce qui n’était qu’un gibier en firent un animal mythique et symbolisant la vie généreuse et puissante. Plus tard, les romains recevaient sur eux le sang d’un taureau sacrifié comme un présent vivifiant et régénérateur...

Il y a, bien sûr, aux origines de la tauromachie, un important côté concernant le culte rendu à l’animal, qui a été souvent traité par les auteurs et que nous n’aborderons pas ici. Attachons-nous plutôt à voir comment la chasse fut déterminante dans les rapports entre l’homme et le taureau.
L’affrontement et la lutte avec un animal extrêmement dangereux eut sans doute rapidement d’autres valeurs et d’autres significations que le simple but de pourvoir à la survie d’une famille ou d’une tribu. Les exploits des plus hardis chasseurs firent figure d’exemple, et l’émulation dut vite présider à certains tête à tête avec la bête aux cornes meurtrières.

Peut-être cela prit-il un caractère rituel... Peut être aussi, les meilleurs chasseurs retiraient-ils alors de leurs exploits des compensations et des avantages hiérarchiques, sociaux ou autres... Mais il est probable, à mes yeux, que les jeux taurins naquirent ainsi, plutôt que par le biais d’un quelconque côté culturel ou idolâtre.

Considérons d’une part la hache de silex et la ceinture de peau du primitif et, d’autre part, le crochet et le tee-shirt de l’actuel raseteur. On peut se dire que s’il est une chose qui, à plus de 150 siècles d’intervalle, rapproche ces deux adversaires de la bête, c’est bien l’audace et le dénuement de l’un comme de l’autre, face aux cornes.

Les jeux taurins ont dû naître spontanément, un peu partout dans le monde et très tôt. En Inde, par exemple, il existe toujours des coutumes où le bovidé entre en part, qui ne sont pas autre chose que les réminiscences d’un obscur et très lointain passé.

Mais restons dans le bassin méditerranéen, où se sont affirmées et peu à peu affinées des tauromachie diverses.

Les Crétois et les Phéniciens furent des acrobates taurins ; les peintures et dessins que l’on a retrouvés en attestent. Peut être leurs jeux avec le taureau étaient-ils déjà codifiés. En tous cas, une forme d’art tauromachique existait, assurément liée à une sorte de chorégraphie. Certains étymologistes affirment d’ailleurs que le mot farandole découle de la langue phénicienne et du mot "far nad" qui signifie : le prix du taureau.

Les diverses représentations de scènes tauromachiques qui nous sont parvenues de ce temps nous font découvrir des actes que l’on croirait actuels. Il s’agit de poursuites, de sauts de l’animal par des hommes et des femmes, de captures, avec des gestes et des techniques qui ne sont autres que ceux de nos ferrades. Sur un vase peint, représentant Thésée capturant le Taureau de Marathon, le héros tord d’une main la queue de l’animal et, de l’autre, parait lui entraver les pattes arrière avec des cordes.

En 1889, dans "Principes de Tauromachie", G. de Frézal écrivait à propos du personnage mythique : " L’aïeul des grands taureaux de course est le Minotaure, taureau de manade crétoise, et le premier des matadors est le chevalier Thésée."

Cet auteur, plus axé sur la corrida que sur la course camarguaise se trompait. Thésée fut le premier des "attrapaires".

L’aurochs d’après le SIERDA : Syndicat International pour l’Elevage, la Reconnaissance et le Développement de l’Aurochs-reconstitué