Il serait fort hasardeux de vouloir établir une réelle continuité des jeux taurins au cours des siècles. Sur de longues périodes, on ne trouve aucune trace, aucune preuve... Mais, de loin en loin, quelques indices permettent de penser que la tauromachie fut toujours présente sur les terres proches du delta du Rhône.

Les livres de raison, et autres annales tenus jadis par les habitants d’Arles font état de réjouissances où le taureau a sa place. On apprend, par exemple, que le 27 mai 1402, on fit combattre un taureau avec le fameux lion que la ville nourrissait. Selon le sieur Boysset, cet épisode eut lieu dans la cour de l’archevêché. De nombreuses personnalités assistaient au combat, dont Louis II de Provence et le prince de Tarante. Il ne s’agit pas là d’une course de taureaux au sens propre du mot, mais, en 1564, soit un siècle et demi plus tard, les annales de la ville relatent à la date du 16 novembre :

"Charles IX et la reine, sa mère, furent reçus dans Arles... il y eut, sur la lice, une belle course de chevaux et une de taureaux, sur la place du Marché. Leurs majestés étaient placées au balcon de l’archevêché. "

Cette fois-ci, le terme course de taureaux est bien employé. Aucune description n’en est faite, mais un étudiant bâlois nous apportera quelques précisions, une trentaine d’années plus tard. Pourtant, on notera déjà que chevaux et taureaux étaient des éléments importants des festivités.

Un visiteur d'antan

En février 1596, un jeune étudiant de Bâle du nom de Thomas Platter, visite Arles et la Camargue. Sur cette dernière, il écrit :

"Elle est peuplée de troupeaux de bœufs, de taureaux et de vaches auxquels on ne donne aucun soin et qu’on se borne à marquer avec un fer rouge avant de les lâcher en liberté. C’est, dit-on, un spectacle intéressant qui attire les curieux de tous les environs et qui a lieu dans un espace retranché formé de charrettes. "

On ne peut être plus explicite ! Les plans de charrettes existaient à la fin du XVIe siècle, même si le spectacle qui s’y déroulait ne consistait pas encore à crocheter des attributs sur les cornes des biòu. Revenons maintenant au récit de Platter :

« A Aigues-Mortes du reste et ailleurs, mais principalement dans la Camargue, les bouchers ont leur mode particulier de dompter les bœufs . ils leur donnent la chasse sur des petits chevaux très légers et les poursuivent dans la campagne .jusqu’à ce qu’il tombent épuisés de fatigue. Alors ils le marquent avec leur fer chaud et les réunissent à leurs troupeaux, qui comptent plusieurs centaines de têtes, et se tiennent dans des petits bois. Ils ont aussi de longues perches terminées par trois pointes de fer qu’ils enfoncent dans le mufle du bœuf quand celui-ci veut les attaquer- mais parfois ils se font renverser les quatre fers e l’air, ce qui les amuse beaucoup moins que les spectateurs. "

Quiquèran de Beaujeu, a longuement écrit sur la Provence, la Camargue et les taureaux, à peu près à la même époque. Mais par le texte de Platter, nous savons donc que les divertissements tauromachiques avaient lieu sur une région beaucoup plus étendu que le Pays d’Arles.

Pierre Quiquèran de Beaujeu est né en 1526, dans une grande famille d’Arles, Nous ferons, bientôt un bout de chemin avec l’ecclésiastique arlésien qui ne dédaignait pas se mêler aux piétons de la ferrade et qui consigna ses souvenirs dans "La Provence Louée".