Je vais vous écrire ce qui est arrivé dans un charmant village du Gard, qui a accueilli il y a peu les camarguaises en 2008 : AIGUES-VIVES.

En cette année-là dans le bas Languedoc, un événement peu banal s’y est produit, on peut très bien parler " d’affaire d’Aigues Vives "

Il faut tout d’abord savoir que depuis le règne de Louis Philippe, les courses de taureaux étaient défendues dans tout le département du Gard. En 1850, suite au non respect de cette interdiction et donnant comme prétexte un accident mortel à Générac où un "toréador" nommé "l’Aristo" avait eu la carotide tranchée d’un coup de corne, le conseil général avait adopté l’ordre du jour suivant :
Approuvant le Préfet de persévérer avec une nouvelle énergie dans l’exécution des arrêtés en vigueur concernant la défense des courses de taureaux, le conseil invite le gouvernement à prohiber ces courses dans toute l’étendue de la république"

Mais en fait ce n’est pas a cause des dangers encourus par ceux qui allaient affronter "li biòu" que l’on désirait la suppression des courses, c’était aussi et surtout parce qu’à cette occasion on savait que les républicains, "les rouges" se rassemblaient et fomentaient des révoltes.
On le voit, la politique n’était malheureusement pas absente de ce véto !

Voici d’ailleurs ce que disait le texte de la circulaire aux gendarmes émanant du préfet, texte que cite Emile Guigou, cette circulaire prouve si besoin était que c’était bien des raisons politiques qui faisaient interdire à cette époque les courses de taureaux :

  • " Depuis que la propagande socialiste a surexcité dans les campagnes, les mauvaises passions, les courses de taureaux sont devenues le prétexte de rassemblements qui ont pour but principal le développement des doctrines démagogiques et pour conséquence la dépravation complète de l’esprit public dans ce pays.
    S’il importe d’empêcher ce genre de spectacle grossier et barbare, c’est surtout depuis qu’il tend à servir les mauvais desseins des anarchistes et à couvrir sous l’apparence d’un divertissement public des réunions où les hommes mal intentionnés de plusieurs communes peuvent se rencontrer, s’entendre, s’exciter les uns les autres pour l’échange de mots d’ordre de pensées nouvelles ou d’espérances aussi coupables que chimériques"
    .

Conclusion : il fallait réprimer !

Revenons en à 1851, et à cette affaire d’Aigues Vives.

Le 5 mai a eu lieu à Vauvert, à la barbe des autorités locales une course de taureaux, et on s’en doute, on en parle dans toute la Vistrenque !
A Aigues Vives une course est prévue pour le 7 mai 1851 ; mais le préfet Lagarde est arrivé et n’entend pas être une fois de plus ridicule. Il décide donc de faire appel à la troupe et il ordonne d’envoyer des gendarmes et une compagnie d’infanterie légère sur les lieux.

  • Les lieux : une place entourée de charrettes et de théâtres où déjà la foule a pris place et lorsque la troupe arrive elle trouve les étagères copieusement garnies.
    Y eut-il de réelles sommations ?
    Adolphe Pieyre, député conservateur, nous dit que oui et qu’il fallut charger les armes ; mais la foule, toujours d’après ce politicien, se posta alors devant les soldats en se découvrant la poitrine. Les soldats alors marchèrent sur les manifestants baïonnette au canon et quelques uns furent blessés. Rapidement les gradins furent évacués et la résistance cessa avec l’apparition d’un escadron de chasseurs à cheval.

Mais les choses n’en restèrent pas là et un taureau fut lancé dans l’ arène par des manifestants. Peu après, il fut abattu par un sergent nommé Bruyère qui, d’ailleurs, reçut plus tard une gratification de cent francs pour cet exploit.
Le soir les soldats campèrent sur les lieux de "leur forfait" tandis que la population arborait des rubans rouges et ne cachait pas ses opinions républicaines. On se refusa à nourrir la troupe et une estafette dut aller à Lunel pour chercher la cantinière du régiment de chasseurs qui vint avec un fourgon de vivres !

Mais les Aigues-vivois savaient résister à l’opposant, et crièrent :
"Vive Ledru-Rollin, Vive la liberté".
Il est évident que les choses ne pouvaient en rester là et la conclusion logique de cet affrontement fut la démission du maire de la localité.
Jacques Fontanès avait été élu maire du village en 1846, il en était donc à sa cinquième année de mandat et ce devait être sa dernière puisque voici la teneur de la lettre qu’il adressait au préfet Lagarde, ce 10 mai 1851.

Monsieur le préfet
J’ai administré la commune d’Aigues-Vives pendant 5 ans.
J’ai la conscience d’avoir accompli mes devoirs de maire, tant dans l’intérieur de la commune que dans l’intérêt de l’administration. Aujourd’hui ma position administrative n’est plus supportable et j’ose dire que la faute est imputable à l’administration supérieure. Je crois qu’il est de mon devoir de vous rendre compte de ce qui s’est dans ma commune, dans la journée du 7 mai 1851.

La fête d’Aigues Vives est célébrée depuis un temps immémorial, le premier dimanche du mois de mai ; jusqu’à ce jour.
C’est un usage local profondément enraciné dans les mœurs de nos populations.
Vers les 8 heures du matin, avant l’arrivée des populations voisines, un taureau fut lancé dans l’arène, dans ce moment on annonça l’arrivée de troupes qui avaient été envoyées par vous. Le taureau qui était dans l’arène fut tué d’un coup de feu et quatre personnes blessées en s’enfuyant.
Il est un point sur lequel je crois devoir appeler votre attention : quatre citoyens ont été blessés, parmi ces quatre, il y a deux septuagénaires et une femme.
C’est vous dire qu’il est difficile de trouver par ces personnes une résistance quelconque. Je crois même vous faire remarquer que la femme à été blessée par derrière.

[1Eh oui ! C’était du temps où nous avions créé le site fédéral ffcc.info (2002-2011) sous la présidence efficace de Henri Itier... (NdR)