Si on n’y met pas bon ordre tout de suite, les histoires de ficelles vont créer des différents sérieux entre les razeteurs et le directeur qui, dans leurs démêlés ne se gêneront pas pour continuer à duper le principal intéressé : le spectateur, le cochon de payant.
Cette question des primes à la ficelle est tellement délicate et je connais tellement de trucs que m’ont dévoilés les razeteurs eux-mêmes, que je n’ai jamais parlé longuement de ce sujet dans les colonnes du journal. Il est trop épineux.

C’est pour une histoire de ficelles que l’aficionado indépendant Nîmois fut coffré et passé à tabac, il y a quatre mois environ. C’est pour les ficelles que la course des as de Granon fut gâchée il y a huit jours, et de ces deux faits il n’est pas trop tard pour reparler avant de prendre position dans le débat.
Contrairement à ce qui a été dit et écrit, tout le public, dans le premier cas, n’avait pas pris position pour la présidence contre le protestataire. Je connais et pourrais citer beaucoup de gens autorisés qui pensaient qu’Hébrard avait bien raison de protester contre l’annonce de la prime à la ficelle « corne nue ».
Et dimanche dernier n’y eut-il pas autant de sifflet et de protestations que d’applaudissements, quand le trompette annonça de nouveau la prime à la ficelle « corne nue » ? D’ailleurs comme dans un tas d’autres questions en tauromachie, on ne risque pas de réunir l’unanimité pour une question quelconque au sujet de l’attribution de ces primes à retardement.

La preuve que nous ne risquons pas d’être tous d’accord au sujet de la distribution de ces primes, c’est que tous les revistero, je ne risquerais pas d’en dire autant des spectateurs, tous les revistero ont été enchantés de cette course, qui fut gâchée sabotée, par une présidence incompétente, redisons-le une fois de plus. Et puisque seul nous avons écrit cela, nous allons essayer de le prouver. De cette course nous ne voulions pas reparler, mais l’occasion est trop belle de prouver à certains leur méconnaissance, mieux : leur incompétence de la course libre ; saisissons là ! .
Il est reconnu par tous ceux qui suivent les courses que les cocardiers ont besoin d’« estre quicha »pour briller. Ceux de Granon n’échappent pas à cette régie générale, et on a coutume de dire que plus il y a de raseteurs, mieux ça vaut. Jusque là, nous sommes tous d’accord.
« Il y avait au moins trente razeteurs dans la piste de Nîmes en septembre » dira-t-on. Exact. Mais combien d’hommes travaillèrent à partir de la troisième ou quatrième minute, c’est-à-dire au moment où on annonça la prime a la ficelle corne nue ? Un, un seul : Garonne, je ne veux pas compter les deux ou trois braves garçons qui lui donnaient la main. Eh bien, un razeteur seulement, fut-il Garonne, contre les cocardiers comme ceux qui composaient la course de dimanche dernier, c’est insuffisant , et la lutte n’est plus égale, le taureau étant dans ce cas le maître du rond..
Notez que nous ne risquons pas de leur donner raison ; ils ont abusé du truc des bouts de ficelles, ils récoltent aujourd’hui ce qu’ils ont semé au cours de ces dernières années. Mais d’autre part, s’ils ne veulent pas razeter pour la corne nue, il faut trouver autre chose, le spectateur ne devant à aucun prix, supporter les conséquences de la paresse ou de la mauvaise volonté des as du crochet, ou de l’entêtement de la présidence.
Reconnaissons cependant en toute justice que la prime à la ficelle corne nue à de gros inconvénients. D’abord, suivant la façon du gardian qui a mis la cocarde, ce n’est pas toujours facile d’enlever toute la ficelle qui est autour d’une corne ; d’autre part, un razeteur peut très bien monter l’anneau de ficelle jusqu’à moitié corne ; d’autre part, un razeteur peut très bien, permettant ainsi à celui qui passera après lui, de recueillir facilement le fruit de son travail. Nous arrivons là au cas de la cocarde coupée, et le premier razeteur devrait bien avoir droit à quelque chose.

Les revistero ont écrit que la course des as de Granon avait été intéressante. Voyons cela de plus près : Lou Charmentoun resta sept minutes dans le rond, et lutta quatre minutes à peine. Le Clairon, et surtout l’Orphelin, luttèrent plus longtemps ; mais les autres, Le Lancier, dont la course fut ennuyeuse ; Le Dur, qu’on ne razeta plus au milieu de sa course, les razeteurs, sauf Garonne, restant à la barricade ; Le Canario, qui répéta sa mauvaise course de Châteaurenard, et le Ramoneur, dont il ne vaut mieux ne pas parler, si ce n’est de souvenirs. Fut-elle brillante la course de ces derniers cocardiers ?
On a pu écrire aussi que les directeurs avaient distribué plus de huit mille francs de primes ; Qu’importe, si la distribution a été mal faite ! Je vous fiche mon billet que si on avait agi de façon à faire razeter tous les as, la course des taureaux n’aurait été plus animée de bout en bout..
Quand la présidence se rendit compte que les razeteurs, la plupart des razeteurs, ne voulaient pas travailler, elle aurait dû changer de tactique tout de suite, afin de donner d’abord, satisfaction aux spectateurs. C’était facile, avec 5 ou 6000 francs distribués après la course on pouvait en payer des bouts de ficelle à 50 ou 100 francs l’un ! Et je vous assure que si les razeteurs avaient continué de travailler comme il en avaient l’intention au début de la course, nous aurions probablement vu autre chose et en tout cas, chaque taureau aurait au moins été travaillé pendant le quart d’heure règlementaire, auquel nous pensions, jusqu’ici avoir droit..
Malheureusement pour nous, en dehors des heures que nous avons données dans le dernier numéro, il y eut cette lamentable question des primes aux ficelles.
Cette question qui menace de devenir brûlante, avait été étudiée par la direction nîmoise, et ses conseils habituels, dans la semaine précédent la course. A notre avis, elle aurait du être vidée une fois pour toutes, entre les organisateurs et les razeteurs, au cours de la même semaine..
D’une part la bonne foi des présidents a été trop souvent exploitée par certains razeteurs peu scrupuleux ; d’autre part le truc « cornes nues » est presque impossible à pratiquer et provoque chez les as et leurs collègues la grève des bras croisés, alors il serait bon qu’une fois pour toutes, les hommes du crochet et les organisateurs s’entendent à l’avance, de manière à ne pas avoir a régler leurs conflits aux arènes pendant le spectacle. Nous n’allons pas aux taureaux pour ça, et aimerions que cette cuisine d’office nous soit épargnée. Nous ne nous lasserons pas de le répéter : ces différends de toute nature gâchent les courses et mécontentent le spectateur payant..
D’ailleurs, si l’entente ne peut pas se faire sur cette question, il n’y a qu’à trouver une solution médiane, et voici précisément mon point de vue. Pourquoi ne remettrait-on pas en honneur la prime aux cocardettes ? C’est une coutume oubliée, qui pour beaucoup serait une nouveauté. Cela intéresserait au moins autant que de voir des razeteurs butés et des présidents encore plus butés encore. Ces cocardettes ne coûteraient pas tellement cher à fabriquer, et avec un employé de plus aux arènes, c’est tout ce qu’il faudrait comme frais supplémentaires. On pourrait annoncer qu’après l’enlèvement de la cocarde et des glands, il y aurait cinq ou huit cocardettes à la glue, primée chacune de telle sommes à placer à chaque taureau. On réserverait un même nombre de cocardettes à chaque raseteur présent, et il est bien entendu que celles placées au dernier cocardier seraient moins primées que celles placées aux troisième et quatrième taureaux de la course, qui sont en général les meilleurs du lot. Il me semble que c’est une idée à creuser ; je la donne pour ce qu’elle vaut, mais il ne faut pas oublier que ce procédé a donné satisfaction autrefois aux publics les plus difficiles. .
D’une façon ou de l’autre, il ne faut plus laisser se décomposer dans la piste des taureaux de valeur, ou les faire réintégrer le toril au bout de 7 ou 10 minutes. Là est le but. A ceux qui vivent des taureaux de trouver les moyens..
« Il faut cependant, me diront certains, donner de temps à autre une leçon aux razeteurs paresseux ; vous savez-vous-même que beaucoup d’organisateurs les avaient trop gâtés »..
C’est vrai, et je le maintiens, mais j’ai dit aussi qu’il faudrait à ce sujet une entente de tous les organisateurs, tous sans exception. Or, je sais fort bien que cette entente n’existera jamais et qu’il se trouvera toujours des organisateurs indulgents pour accueillir avec empressement les as du crochet, leur offrir du travail facile et bien payé pendant que nous attendons sur les gradins des arènes qu’ils se décident à faire des « cornes nues » [1].
Il faut subir, dit-on, tout ce qu’on ne peut pas empêcher… alors il vaut mieux, semble t-il, renoncer tout de suite aux primes à la ficelle, que de voir une fois encore la course des as cocardiers d’une quelconque manade, gâchée par cette empoisonnante question.
Je devais aller à Beaucaire dimanche, voir la course des six meilleurs cocardiers d’Aubert, avec surtout Lou Mamai. Je pensais pouvoir juger ce taureau et vous faire un compte rendu, vous faire connaître une appréciation à peu près définitive sur ce splendide « tau » si discuté. Une chose surtout m’incitait à faire le voyage, la prime colossale de 3000 francs, dont on avait orné son front. Je ne me souviens pas que jamais aucun cocardier ait porté à l’affiche une semblable petite fortune. Le Sanglier y a peut-être figuré une fois ou deux, pas plus, avec 2500, ce qui était déjà coquet..
Las ! Il fallut déchanter : Rey était à Marseille, Granito à Bordeaux, Garonne à Béziers, Gustou je ne sais où, Méry à la maison peut être !
Cartié calignait à Fourques etc ! etc !.
Qui restait-il à Beaucaire pour affronter le Mamai ? Jaumard, peut être ou Richard Lou Bèu-cairen. Il y avait bien des raseteurs portés de bonne volonté : Huguet, Azaïs, Peyret, Toussaint, Reynier, mais il manquait un ou deux des meilleurs, qui créent l’émulation, et la course, bien entendu, fut fastidieuse..
Une fois de plus nous avons bien fait de rester à la maison.

[1est-ce que cela a tellement changé ? absolument pas !!!