La manade

ffcc.info : Quand on parle de la Saliérene, on parle inondations. Mauvais souvenir ?
Françoise Peytavin : Oui, c’est forcément un mauvais souvenir parce que c’était la première fois que cela arrivait depuis de très très nombreuses années. On a été vraiment pris au dépourvu, plus personne, même les plus anciens dans le vilage, n’avait de référence en la matière. Donc on ne savait pas où on allait.
Quand la veille au soir on voyait une brèche qu’on ne pouvait pas boucher (mais ce n’est même pas les autorités qui nous l’ont dit), c’est des voisins agriculteurs qui nous ont téléphoné d’Albaron en disant il y a une petite brèche, on ne peut pas la boucher, ouvrez les portes, au cas où vous n’y seriez pas, que les taureaux puissent partir.

Quelle prestance !

Il n’y avait pas de coordination jusqu’au lendemain matin. Le lendemain, effectivement l’eau était arrivée.
On a enlevé les bêtes vraiment en catastrophe ( On a eu beaucoup de chance parce qu’il n’a pas manqué beaucoup de bêtes à l’appel), on a déménagé trois manades en un rien de temps. On est partis sur la route avec tous les taureaux de la manade Thibaud, les notres qui étaient par là bas, ceux de Lebret, les juments et les poulains... on est partis sur la route 5 cavaliers, 150 taureaux et une cinquantaine de chevaux

"on est partis sur la route, 5 cavaliers, 150 taureaux et une cinquantaine de chevaux"

sans trop savoir où aller parce que l’idée initiale était de venir ici, mais entre temps l’eau y était arrivée. On avait 30 veaux derrière qu’on a vite embarqués dans le camion tant bien que mal, et il y avait déjà l’eau. Pris au dépourvu il a d’abord fallu sauver les bêtes, et puis ensuite...

Mon fils Olivier a pensé à la cour de Saliers dans laquelle on fait courir les taureaux en été. C’est une grande cour entièrement fermée dont le bâti date du XII ème siècle. Donc construite avant que les digues existent, c’était un fief des chevaliers de Malte. On a donc réussi à faire tourner les bêtes devant la maison en direction de Saliers en mettant les camions de travers, et tout est rentré dans Saliers. Je peux vous dire que, on essaierait de le faire maintenant même à 300 cavaliers, on ferait pas 50 mètres, mais là les bêtes sentaient le danger l’eau était montée jusqu’à la route et les taureaux d’abrivado se sont mis devant, avec les simbéu. Olivier en tête les tenait à la voix derrière lui. Ils étaient 5 cavaliers, ils se sont parfaitement discipliné. A croire que les bêtes sentaient le danger.

Après on a rembarqué dans les camions, je ne vous dis pas les conditions, on a fait une aile avec des voitures, pour transformer la cour de Saliers en clos de tri (je ne vous dis pas l’état des voitures le soir). Enfin bref, tout le monde est arrivé, des confrères ont entendu la radio, sont arrivés avec des camions on a réussi à tout embarquer et tout évacuer.

Comme quoi on se rend bien compte que effectivement, les anciens quand ils construisaient, n’étaient pas des idiots

"les anciens quand ils construisaient, n’étaient pas des idiots"

et que tous les mas de Camargue étaient faits sur une bute et quand le Rhône débordait, et qu’il n’y avait pas de digue, l’eau entourait la cour, il y avait des grandes portes qui se fermaient, il mettaient des sacs de sable et pendant quelques jours ils vivaient en vase clos dans la cour. Il n’y avait pas de construction extra muros, ces constructions sont arrivées à la fin du XIX éme siècle quand l’agriculture s’est implantée. Il n’y avait donc que la cour. Puis l’eau repartait naturellement, puisqu’il n’y avait pas de digue. Le Rhône réintégrait son lit, alors que maintenant ce n’est plus du tout le cas.

Donc c’est vrai que les inondation de 93 - 94 sont un mauvais souvenir. Mais aussi c’est un grand enseignement parce qu’on sait que maintenant, tous les ans on a des alertes au Rhône, on sait comment gérer la situation. On dit à la mairie de nous appeler, même en pleine nuit, on ne pourra rien faire, si ce n’est téléphoner aux gardians pour que tout le monde soit là, à la pointe du jour. Et on sait qu’il nous faut 6 à 7 heures pour évacuer le bétail. Après si on a le temps d’évacuer les choses dans la maison on le fait sinon on ne le fait pas. En 93 on ne l’a pas fait, parce que le temps d’évacuer les bêtes, l’eau était dans la maison.

Comme on n’avait pas de référence en la matière, je n’ai jamais pensé que j’allais avoir un mètre d’eau dans la maison pendant un mois, je croyais que tout se terminerait le soir avec des raclettes, comme on le voit habituellement à la télé. Regardez la hauteur des prises de courant ici, c’est le « spécial inondations ».