Un Taureau d’anthologie :

 LOU PROUVÈNÇO <br> du <br> Marquis de Baroncelli

Vouloir évoquer la vie et la carrière d’un cocardier que l’on n’a pas vu courir, et qui plus est, a vécu à une époque où les moyens d’information n’avaient pas l’amplitude qu’ils ont maintenant, c’est essayer avant tout de faire une synthèse entre les renseignements recueillis d’ici et là et les écrits de nos aînés, dans lesquels parfois la légende s’est mêlée à la réalité.
Il faut tenir compte également qu’à l’époque où vivait PROUVÈNÇO, il n’y avait pas de comptes rendus des courses. Cependant il existe des témoignages, des écrits et récits qui permettent de dire que ce premier grand cocardier de la célèbre devise rouge et blanche, a été avec Le PARE, le plus grand cocardier d’avant la tourmente de 1914-1918.

PROUVÈNÇO est-il né en 1896 ou en 1897 ?

Peu importe. Une chose est certaine, on connaît la date de sa mort, le 29 mai 1909. Ses origines paraissent certaines aussi (pas de contradiction à ce sujet).
Mère : Une vache ROSINE issue de la manade Papinaud.
Le père, vraisemblablement Lou CAILAREN, de la famille des Cailarens élevés par le Comte de Laborde à Icard (en Crau). Folco de Baroncelli faillit céder ce veau pour un arrangement à l’amiable avec Papinaud. Mais finalement, ce dernier en choisit un autre.
PROUVÈNÇO demeura "tau" jusqu’à sa mort

Sa première sortie en piste se situe à Marsillargues, en octobre 1899. Le soir, après avoir ramené les taureaux à la manade, le baile-gardian dit à son "pélot" :
— "Nous avons vu un jeune taureau qui a été extraordinaire ; il a bousculé un raseteur, et il a tellement plu aux marsillarguois, que ceux-ci nous ont demandé de le baptiser du nom du village".
Le Marquis qui, depuis la création de sa manade Santenco cherchait à reconstituer la race camarguaise, voulait avoir un taureau qui serait un véritable symbole pour la race. Il hésita donc à donner un nom à ce taureau, qui dès le printemps d’après, sortit à Marseille devant des toréadors. Sa prestation ce jour-là, emballa littéralement le manadier Pouly qui offrit Mille francs (grosse somme à cette époque) pour acquérir ce jeune produit de la manade de I’Amarée.

Le Marquis refusa cette offre, et dès lors décida de donner un nom bien représentatif, à ce taureau qui venait de confirmer sa grande valeur. Et il fit la déclaration suivante :
— "Ce Ternen va devenir l’honneur de la Manade.
Du déluge qui emporte tout, nous avons pour notre part, sauvé la Race Camarguaise dont il incarnera la Beauté et la Vaillance.
Que cette beauté soit l’emblème des idéales réalisations vers lesquelles nous conduit l’Étoile aux sept rayons.
Que cette vaillance soit l’image de notre foi, de notre entêtement, de notre volonté de fer, de notre héroïsme pour la défense du Midi, pour le triomphe de notre Langue délivrée.
Le Taureau s’appellera : PROUVÈNÇO
".

Combien avait raison Folco de Baroncelli car effectivement pendant
une dizaine d’années, PROUVÈNÇOfut un splendide représentant de la marque Baroncellienne.
D’ailleurs ce taureau a eu un destin exceptionnel, de par ses origines, de par son comportement tant en piste qu’en manade, et enfin de par sa mort qui a été souvent narrée avec des précisions de détails qui nous surprennent, car elle s’est déroulée sans témoin humain.

Mais comment se présentait ce cocardier, dont le Marquis avait voulu faire le "symbole" de la race camarguaise, car à ses yeux il en était le type parfait, le représentant idéal.
Quelques petites contradictions dans les appréciations, et bien sûr peu de photos.
Cependant il paraît robuste et racé, pas trop grand quand même. Mais le port de tête est altier, et cette tête est relativement fine avec des cornes " blanches à la base... qui s’incurvaient à leur cime, noire ". Certains ont même écrit que la corne gauche était un peu plus courte, parce qu’elle avait reçu le plus de chocs contre les planches des charrettes ou travettes.

Une chose apparaît à travers tous les récits de l’époque. Lou PROUVÈNÇO était très robuste, et l’on raconte souvent ses exploits, notamment à Saint-Laurent d’Aigouze où après avoir poursuivi un raseteur (était-ce Laplanche ou Clément dit le Grand Beaucaire ? — contradictions à ce sujet —), qui s’était réfugié sur une charrette, il souleva cette charrette avec son chargement de spectateurs. Une autre fois, il renversa toutes les travettes qui barraient la rue conduisant aux arènes, provoquant la panique chez les spectateurs qui tombèrent pêle-mêle les uns sur les autres.

Il est vrai que PROUVÈNÇO demeura "tau" jusqu’à sa mort, et c’est ce qui explique cette force, mais aussi sa mort, puisqu’il fût vaincu en. combat d’amour.

Et sa valeur de cocardier !
Il était très rapide, et son entrée en piste impressionnait les foules. Dès qu’un raseteur s’engageait, PROUVÈNÇO fonçait, anticipait et arrivait aux barricades ou aux charrettes avant lui. Les raseteurs étaient rares à le consentir. Parmi eux, il semble que celui qui l’a le plus travaillé ait été le jeune nimois Louis Laplanche. Celui-ci très jeune, encore, n’hésita pas tout seul, à s’attaquer à ce taureau qui faisait peur à tous. On raconte même qu’un jour, il dit aux organisateurs d’une course à Aimargues :
— "Si vous voulez que je rasète Prouvenco, amenez 4 demi muids, et je les placerai moi-même". Ainsi fut fait. Il les disposa comme suit : Un à droite du toril, un à chacun des angles du plan. C’est alors qu’il parvînt à faire quelques rasets qui satisfirent les spectateurs.

Avec le petit Laplanche, deux autres raseteurs ont brillé avec ce cocardier : Aude de Codognan et Clément dit le Grand Beaucaire qui fut d’ailleurs blessé lors de cette fameuse course de Vauvert (qui fut le chant du cygne du taureau) en mai 1909.

Lors de sa première course à Marsillargues, PROUVÈNÇO qui courut en 6e position, était avec Lou COUNTABLE - Lou TOULONEN - Lou BRAMAIRE - Lou CAILAREN (son père présumé) et MIRABEAU. Plus tard, il eut comme congénères : TRANTAN - Lou CAIET - Lou SANGAR - BOUQUET - Lou CANDE.
Il est curieux de constater sur l’affiche de la course du 25 octobre 1908 à Eyragues que portait 200 Frs de cocardes, que Lou PROUVÈNÇO en portait à lui seul 100, et les autres : 15-20-25-20 et 20. Cette affiche révèle aussi "Le fameux PROUVÈNÇO roi des taureaux, n’est sorti que deux fois cette saison ; il en est de même de ses congénères, c’est vous dire qu’ils ne seront point lassés et qu’ils poursuivront avec la dernière énergie les raseteurs qui tenteront de les affronter".

Il convient de dire aussi, que lors des courses en Languedoc, les chars n’étaient pas toujours utilisés, et que PROUVÈNÇO arrivait jusqu’au planou ; il devait se produire en "abrivado".
Ainsi la "Royale" parcourait les rues du village en galopant au milieu d’une foule qui tentait de faire échapper les "encornés" , et il faut tenir compte des dangers que couraient ces cocardiers, qui risquaient de se blesser en tombant sur des chaussées empierrées. On n’était pas du tout certain de voir les taureaux annoncés pour l’après-midi, avec ces risques de blessures et d’échappées.
Nous pensons cependant que pour certaines courses, le char était utilisé puisque des témoignages révèlent que PROUVÈNÇO tua Lou SIMBEU de la manade Zola, lors d’un débarquement à la sortie du char à Vauvert.
Pourtant, d’autres témoignages nous apprenant que le taureau était doux dans la manade : Une photo le montre alors qu’il s’approche d’une branche de saule, tendue par un gardian à cheval.

PROUVÈNÇO se blessa plusieurs fois en se jetant sur les charrettes ou barricades, et un jour aussi fut touché à la hanche en sortant d’un toril (ceux- ci n’avaient à l’époque pas le confort actuel). Il disparut de la manade pendant un certain temps. Il était allé se ragaillardir dans les marais. En reprenant sa vigueur, il reprit son ascendant sur ses congénères, et son pouvoir sur les vaches de la manade.

Il était donc en pleine forme vers la 12e ou 13e année de sa vie, et c’est alors qu’il fît ses plus belles courses : 1907-1908-1909, à Nimes - Arles - Lunel - Vauvert - Eyragues - St Laurent - Aimargues - Sommières - Beauvoisin - Gallargues - Beaucaire etc...

Il est bien certain que sa prestation de Vauvert en mai 1909, reste dans les annales de la course camarguaise (on disait libre, à cette époque).
Elle a d’autant plus marqué ses adorateurs qu’elle fût la dernière (et ce n’est pas une légende), puisqu’il fût tué le 29 mai 1909, quelques jours plus tard.

Les circonstances de sa mort ont été longuement transcrites, avec une grande part de légende, puisqu’on sait qu’aucun gardian n’était présent.
Quand au Marquis de Baroncelli, il était ce jour-là en Arles, où l’on inaugurait la statue de Frédéric Mistral.

Avait-il pressenti cette mort tragique en pleine gloire de son cocardier symbole de la race ? Toujours est-il qu’il lui avait dédié un poème dans lequel, "Vénus dequé ièu pode émeri sus toun autar ?... de t’adure lou tau que désempiei li clar, Di Santo enjusqu’i mount Cevenou...", il offrait son taureau à la déesse Vénus.
Cette tragique fin fut donc due à ce combat d’amour que PROUVÈNÇO livra contre plusieurs autres "tau" de la manade, dont LAIETOUN, BANDIT et son propre fils SANGAR. Ce dernier eut lui-même une fin tragique, en se noyant dans le Rhône, quelques années plus tard.
Un "gardianoun" assista-t-il à ce combat qu’il relata le lendemain ?

Il apparaît qu’il en fût ainsi, puisque aussi bien, les auteurs de cette période ont pu en parler. Quand aux détails du combat, il vaut mieux, croyons-nous, ne pas trop insister sur leur déroulement.
Dans nos souvenirs d’enfant, nous puisons cette première rencontre avec le Marquis après une "abrivado" vers les années 1920-1921. Alors qu’il se trouvait dans un affenage St-Gillois (devenu maintenant garage) où il allait conduire son cheval, notre grand-père qui avait été quelque peu son "gardian" vers les années 1905-1908, nous présenta au manadier santen en évoquant avec lui son célèbre cocardier. Et le Marquis de répondre :
"ACO ERE UN BIOU !!!" Et il ajouta :
"Es la premiero fe que vène à uno abrivado san gilenco".

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