Chaque année, les 24 et 25 mai, Les Saintes-Maries de la Mer sont un grand rendez-vous de la foi et de la fe.

Sara, la noire patronne des gitans, était-elle sur la barque sans gouvernail qui accosta, au début de l’ère chrétienne, sur le littoral camarguais ? Certains le disent ; d’autres veulent qu’elle ait été à la tête d’un peuple nomade qui se serait enfin sédentarisé, entre les bras du Rhône, sur des terres alors inclémentes et désertes. Sara aurait donc accueilli Marie Jacobé et Marie Salomé. Puis, convertie au catholicisme, elle serait devenue leur servante.

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 L'histoire d'un pèlerinage.

Un petit oratoire aurait d’abord été bâti sur les lieux de l’accostage, et les Saintes Femmes y auraient été ensevelies après leur mort. L’église actuelle, véritable forteresse, n’a été construite qu’à l’époque des invasions sarrasines, entre le VIIIème et le Xème siècles. Les corps des Saintes y furent longtemps cachés, par crainte de profanation, et ce n’est qu’en 1448 qu’on en découvrit les ossements, à la suite de fouilles faites dans l’église. C’est à cette date que les châsses ont trouvé leur place dans la chapelle haute, au dessus de l’autel.

A partir de ce temps, la dévotion aux Saintes Maries ne cessera de croître jusqu’à la Révolution. Mais, en 1793, les reliques sont à nouveau cachées et il faut attendre 1839 pour que le pèlerinage retrouve quelque importance.
Les gens du voyage se joignaient aux Provençaux et aux Languedociens, mais sans doute en moins grand nombre qu’aujourd’hui.

Puis, vers le milieu du XIXe siècle, on commença à s’intéresser aux Saintes-Maries de la Mer d’une façon plus générale, et les pèlerins vinrent de toutes les provinces de France, puis des pays étrangers. Alors, peu à peu, le tourisme va devenir aussi important que les motivations religieuses. Pourtant, en dehors du pèlerinage, les Saintes Femmes sont l’objet de vénération en pays provençal et languedocien. On se place sous leur protection, et les ex-voto témoignent de la reconnaissance qu’on leur porte.

C’est en 1935 que le Marquis de Baroncelli va donner une ampleur plus importante encore au rendez-vous. Ce "rénovateur de coutumes", secondé par quelques gitans vivant dans la région, parvient à organiser une procession de l’église à la mer. Dès lors, le pèlerinage prend l’allure que nous lui connaissons actuellement. Le gitan côtoie le touriste et le cavalier de la Nation Gardiane salue la vieille dame pieuse...

 Un lieu de rendez-vous.

Pour qu’un pèlerinage aux Saintes soit réussi, il faut que le ciel soit bas, que les nuages courent vers le nord, poussés par le vent marin qui vous poisse. Les Saintes ont échoué ici à cause de ce vent !

Si vous n’avez pas pris la précaution d’arriver tôt, vous n’entrerez pas dans l’église où les cierges et la foule rendent l’air épais, oppressant.

L’office se déroule, entrecoupé par les airs des violons tziganes. La foi du gitan s’extériorise de maintes façons. La prière se fait souvent les bras en croix. On s’exprime avec son instrument. On crie parfois... L’étroite crypte où Sara disparaît sous ses robes et ses rubans colorés est inabordable. On a veillé toute la nuit dans ce réduit, agglutinés l’un contre l’autre, tandis que sur la plage, près des caravanes, les guitares rythmaient des heures plus profanes.

Maintenant, les flammes rouges et fumeuses des cierges n’ont presque plus d’air à brûler.
Plusieurs hommes ont revêtu une aube blanche et certains auront tout à l’heure le privilège de porter jusqu’à la mer le pavois sur lequel trônent les Saintes.
Dehors, sur le parvis, le porteur de caméra flirte parfois dangereusement avec les sabots arrière d’un cheval camargue. Ici aussi, la foule est dense et colorée.

Mais au milieu de tant d’étrangers, on se reconnaît entre Nîmois et Pescalunes, entre Arlésiens et Beaucairois, entre afeciounas et manadiers, entre raseteurs et gardians. Les Saintes sont aussi un rendez-vous de la bouvine. Et, devant l’église, on se donne discrètement le nom du bar où l’on fera l’apéritif tout à l’heure.

L’heure vient où la procession se forme sous le porche de l’église. Ceux des derniers rangs de la foule se dressent sur la pointe des pieds pour, au dessus des têtes, voir apparaître la barque des Saintes, claire sous la voûte d’ombre du portail grand ouvert.

C’est le pas des camargues qui règle l’avancée du cortège. Et même le mégaphone du prêtre qui dirige les cantiques semble lui obéir. Au terme du parcours, sur le sable, les cavaliers s’écarteront pour que passent entre eux les Saintes sur leur pavois.

Les porteurs, et bien d’autres avec eux, entreront dans l’eau jusqu’aux cuisses, pour commémorer, une nouvelle fois, l’instant où une pauvre barque déposa Marie Jacobé et Marie Salomé sur la terre entre les bras du Rhône.

Textes et photo : Éliane REYNAUD, publié dans le numéro 1 de la Fé de Biòu de juillet 1997