Après les offrandes des femmes, voici celles des enfants : ils apportent des agneaux nouveaux-nés au pied de l’autel.
Derrière eux s’avance la charrette.
Elle est recouverte de buis vert, cueilli l’avant-veille dans les collines voisines.

Ce jour-là, on est parti " entre hommes ", avec la biasso, les saucisses à griller, les boules et le ballon de foot : après le travail de cueillette on compte bien se détendre. Cette journée de plein air s’est terminée, au café du village, dans la bonne humeur et les galéjades.

Le lendemain, quatre anciens ont effectué le garnissage traditionnel de la caisse, des roues et des montants.
En ces temps de froidure et de gel le buis peut être considéré comme un présage de printemps, un appel en faveur du renouveau et l’espoir d’une résurrection.

Contraindre la nature à se réveiller de son sommeil fut une des préoccupations essentielles de l’homme primitif au moment du solstice d’hiver, et on peut accorder à ce buis d’un vert profond et vernissé une signification cosmico-temporelle qui nous plonge dans l’univers mental des mondes archaïques.

Ces peuples primitifs dont nous retrouvons les pratiques dans notre quotidien, avaient lié le développement des structures agricoles au culte de la terre. Ils avaient appris que l’ensemencement de la graine précédait la germination et qu’ainsi la vie végétale se régénérait par sa disparition apparente.

Les sacrifices humains tels qu’ils furent pratiqués en Syrie, en Mésopotamie, en Anatolie ou en Grèce prennent un sens nouveau à cette lumière.
Ainsi l’homme dont le corps était jeté dans les eaux du Nil devenait le gage de la prospérité de la terre et à sa disparition devait précéder une récolte abondante.
L’abolition des sacrifices sanglants au nom des principes d’élévation spirituelle (en fait, pour des raisons économiques) laisseront la place aux offrandes sacramentelles qui glorifient les œuvres de la terre. Et dans ce petit village méditerranéen, voici que comme chaque année nous assistions à cette cérémonie traditionnelle de l’offrande de ces dons que l’on espère voir se multiplier.

En cette période de l’année, il y a équivalence entre ce qui s’achève et ce qui va s’affirmer, et il est bon d’étaler les signes d’une prospérité qui doit se maintenir.

Qui parmi nous en avait conscience ?
Sans doute personne, mais cela était sans importance car l’essentiel pour un rite n’est pas d’être compris mais partagé par une communauté. Si le geste n’est pas reproduit, il s’ensuit une rupture qui prend des allures de catastrophes.

Ainsi il faut remonter à la seconde guerre mondiale pour retrouver ces Noëls déserts desquels a été bannie la cérémonie du pastrage.
Après le don des fruits de la terre par les femmes, après l’offerte des pâtres, voici que va se dérouler l’offrande des hommes. De mon petit " cantoun " je suis le déroulement d’une cérémonie dont je suis exclue. Et pour cause !

Les prieurs ont distribué des cierges à tous les hommes présents de l’assemblée et tous, en procession, musiciens en tête et charrette en queue, vont accomplir le tour de la nef. Revenus face au maître-autel, à tour de rôle ils vont baiser les pieds de l’Enfant Dieu présenté par l’officiant.

Ainsi les hommes, en décrivant un cercle autour des femmes et des enfants du village, ont enfermé la communauté dans un espace sanctifié, cloisonné, et ils ont rejeté les forces du mal et des ténèbres au-delà des limites sacrées.
Ce geste, pratiqué depuis la plus haute antiquité, me touche particulièrement.
Comme ceux qui les ont précédés, ces hommes en définissant un espace privilégié, désirent reconstruire un monde lavé des erreurs du passé.
Mais le savent-ils ?

Là encore, peu importe.
Seul demeure le fait que par répétition à date fixe du même geste, ils nous ont fait entrer dans un temps antihistorique qui s’ouvre sur l’éternité.

Mais, plongée dans mes pensées, je n’ai pas prêté attention à la foule qui s’écoule dans la travée centrale vers la sortie.
Vite pressons-nous.

Je veux être au premier rang pour le départ de la course.
Oui, imaginez-vous que chez nous, la brebis doit courir pour rentrer au bercail. Sur le parvis, les bergers frappent le sol de leurs sabots, et les voilà partis...
Gare au petit malin qui croit aisé de courir avec " li ped dins lis esclop ". Les chutes malencontreuses jalonnent le parcours pour la plus grande joie du public.

Quelques minutes plus tard nous seront tous réunis dans la remise de l’un des prieurs, et ce sera la fête. Fête du partage : partage des " gibassié " craquants et dorés, partage des "fiasco " de vin blanc, partage des souvenirs...

La justification du pastrage se trouve bien là, au cœur de ces retrouvailles conviviales où chacun peut donner parce qu’il sait recevoir.

Noël, fête de la fraternité entre les hommes et de la paix, fête marquée par les promesses du feu de Cacho Fio, Noël, fête riche des dons qui appellent les soleils à renaître...

Noël de notre enfance, tu demeures au cœur de nos traditions séculaires, la mémoire de notre avenir.