Noël en Provence :
LA FÊTE CALENDALE (4/6)
Un article écrit en 1984
2ème partie : (suite...)
Le gros souper ou "Sant Crebassi"
Mais voici qu’il est grand temps de passer à table : ne soyez pas déçus, c’est à un repas maigre que je vous convie.
Le sens de l’expression : " gros souper ou Sant Crebassi " ne doit pas vous abuser ; s’il s’agit d’un " repas gros à s’en faire crever la panse ", c’est à la suite importante des plats de légumes et de l’abondance des desserts que ce souper doit son nom.
Les mets servis appartiennent à l’ordinaire, aux menus quotidiens, l’unique souci des maîtres de maison résidant dans le fait de ne mettre sur la table que des produits d’excellente qualité, récoltés sur la propriété familiale.
Jusqu’au début du siècle, dans nos campagnes ces plats de fête étaient présentés comme des offrandes sacramentelles que l’on espérait voir se multiplier tant il est vrai que " l’abondance est un bon présage pour l’avenir ".
Si de nombreuses variantes peuvent apparaître dans la composition du repas, nous retrouvons par contre les chiffres immuables et symboliques.
Ainsi, le menu de fête sera constitué par sept plats maigres en référence aux sept douleurs de la Vierge, et se terminera par treize desserts qui renvoient à l’image du Christ entouré de ses apôtres.
Dans les plaines de la basse vallée de la Durance, l’abondance des légumes est liée à la place importante de l’agriculture maraîchère locale. La diversité de la production est alliée à la simplicité de la préparation : légumes crus, bouillis, en ragoût, etc...
En Provence intérieure, le légume roi, c’est l’épinard.
On le sert en gratin ou en omelette à laquelle on a ajouté ail et persil. La carde traditionnelle se mange soit en sauce blanche, soit en anchoïade.
Quant aux artichauts, courges ou poireaux, leur préparation offre des variantes régionales alors que le céleri se consommera toujours cru, accompagné d’une sauce à l’anchois.
A côté des productions du terroir, nous retrouvons sur la table de fête le poisson.
" Si je n’ai pas la morue, je n’ai pas fait Noël ", m’explique Marie, ma vieille voisine. La morue présentait en effet l’avantage de se conserver facilement : séchée, elle était transportée sous forme de raquettes salées.
On la servait en " raïto ", frite avec une sauce au vin et aux câpres, " a la matrasso ", c’est-à-dire non dessalée et rôtie sur la braise, en " estoficado ou merlussado ", en ragoût avec des poireaux et des épinards, en sauce blanche et bien sûr en brandade.
Chez Marie, les anguilles pêchées dans les roubines autour de Rognonas tenaient lieu de plat traditionnel.
" Mais c’était guère goûteux " ajoute-t-elle.
Dans la Provence maritime, le petit thon, ou merlan, préparé en capiotade avec des pommes de terre, connaissait un grand succès.
Ce menu serait incomplet si nous omettions les "cacalaùso "(ou escargots).
Ils ont été ramassés après les pluies d’automne et jeûnent depuis lors. Après qu’ils aient été soigneusement nettoyés, on les fera bouillir une première fois, puis on les remettra à cuire avec, pour accompagnement, une tête d’ail non épluchée, une poignée de sel et de poivre en grains à laquelle on ajoutera un bouquet garni.
" La sauce se compose d’une béchamel claire faite avec l’eau de cuisson des escargots dans laquelle on délaie des anchois écrasés " me précise ma sympathique voisine. Le tout sera relevé par le goût des olives vertes ou noires au fenouil, confites dans de l’huile d’olive vierge.
Avec les desserts, une seule règle à respecter : celle du chiffre.
Mais les variantes locales doivent être acceptées dans leur diversité.
Pour mémoire, nous citerons les poires, les pommes, les pruneaux ou les prunes, le nougat blanc et le nougat noir accompagnés de confiture de coings.
Voilà pour six !