Noël en Provence :
LA FÊTE CALENDALE (3/6)
Un article écrit en 1984
2ème partie :
Le gros souper ou "Sant Crebassi"
Ph Palais du Roure
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête c’était la veillée de Noël.
Ce jour-là, les laboureurs dételaient de bonne heure ; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l’huile, une rouelle de nougat, une poignée de figues sèches, un fromage du troupeau, un céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci, et de-là, les serviteur s’en allaient " poser la bûche au feu " dans leur pays et dans leur maison.
Au mas ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n’avaient pas de famille, et, parfois des parents, quelque vieux garçon, par exemple, arrivaient à la nuit en disant :
" Bonnes fêtes ! Nous venons mettre, cousins, la bûche au feu avec vous autres ! "
"Oh ! la Sainte tablée, sainte réellement avec tout à l’entour la famille complète, pacifique et heureuse... "
La scène décrite par Mistral dans " Mémoires et Récits " met en lumière le caractère fraternel et chaleureux de cette fête de Noël.
La veillée servait de prétexte pour réunir les membres plus ou moins éloignés d’une même famille, et les travailleurs de l’exploitation qui n’avaient pas de foyer étaient associés à ces retrouvailles autour du repas traditionnel.
Hospitalité généreuse de ces temps anciens !
Le nomade qui passait sur les mauvais chemins pouvait frapper à la porte, entrer et s’asseoir à la table familiale. Sa place était réservée par la maîtresse de maison qui avait pris soin d’ajouter une assiette supplémentaire en dressant le couvert. D’ailleurs la table avait été mise avec un soin tout particulier.
En ce soir de Noël, le rituel fait la part belle à la mise en scène, quitte à oublier la gastronomie.
Si à votre tour, vous désirez renouer avec la fête traditionnelle, il faudra vous conformer à ces coutumes oubliées, toutes chargées d’une signification profonde, coutumes qui nous plongent au coeur d’un temps que nous ne saurions mesurer.
Sur la grande table, on aura superposé trois nappes blanches damassées et brodées.
Elles nous rappelleront que trois fêtes se succèdent : après le 25 décembre, ce sera le ler janvier (fête de la Circoncision et de la Présentation de l’Enfant Dieu au Temple), puis le 6 janvier (fête de l’Épiphanie).
La divinité s’est révélée dans la Sainte Trinité et nous retrouverons le chiffre sacré à plusieurs reprises sur la table de fête.
Ainsi, ce sont trois bougeoirs de cuivre ou d’étain qui éclaireront la tablée.
Les trois chandelles représentent l’éclatement du temps dans ses trois dimensions : passé, futur et présent.
Mais on leur accorde un pouvoir divinatoire : si l’une des flammes s’incline vers un convive, le fait sera pressenti comme une menace de maladie ou de mort pour l’année à venir.
Ce sont encore trois " sietoun " [1] d’une verdure plantée à la Sainte Barbe que nous placerons sur la nappe. Leur feuillage dru et épais porte présage de la prospérité future accordée à la maisonnée.
Un gros pain rond entouré de douze plus petits occupe le centre de la table.
Cette nourriture sacrée, au cœur du mystère de l’Eucharistie a vocation de nous faire partager la Cène, le dernier repas pris par le Christ au milieu de ses disciples.
Décorée de petit houx, de myrte et de laurier, il sera rompu (et non pas coupé) par le maître de maison, puis le partage s’ensuivra : dans l’armoire une part sera mise de côté en songeant aux mauvais jours, dans la crèche on placera le morceau du pauvre, le reste étant distribué aux présents.
[1] sietoun : petite assiette, soucoupe