3- La poutargue de Martigues.
La Poutargue, ou boutargue ou caviar de la Méditerranée ou caviar de Martigues (poutargo ou boutargo en provençal) anciennement botargue.
Produit de luxe à base d’oeufs de mulets salés et séchés, parfois appelé "caviar de la Méditerranée".
C’est une spécialité de la commune de Martigues dans le département des Bouches du Rhône.
Saveur puissante et marine.
Histoire :
En 1782, Pierre-Jean-Baptiste Le Grand D’Aussy en fait mention avec un processus de fabrication identique à celui artisanal d’aujourd’hui dans son "Histoire de la vie privée des français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours".
Toutefois, l’origine exacte et la date d’introduction en Provence sont sujets à débat.
D’un point de vue analyse lexicographique, le mot français "poutargue" serait le glissement actuel de la prononciation du mot français "boutargue" qui est emprunté au mot provençal "boutargo", lui-même étant emprunté à l’espagnol "botagra" dérivé, à son tour, de l’arabe "bitârikha". Tous ces mots ont le même sens de "oeufs de poisson salés".
Pourtant ceci ne suffit pas à en fixer l’origine car :
— si un apport par les arabes via l’Espagne est plausible, d’autres nous rappellent que les œufs de poisson salés étaient connus de l’antiquité romaine et que les romains les importaient et les considéraient le plus souvent comme une spécialité grecque.
Quoiqu’il en soit, aucun document ne mentionne la poutargue en Provence avant le XVI ème siècle. Puis, au XVI ème siècle tout le monde se met à en parler.
Rabelais en fait consommer à Grandgousier dans son Gargantua.
Rabelais encore en fait consommer des centaines à Pantagruel.
"Le Thrésor de santé ou mesnage de la vie humaine - Faict par un des plus célèbres & fameux Medecins de ce siècle" (Lyon, Huguetan, 1607), cite les oeufs de mulets salés et séchés comme un produit qui donne soif fait par les provençaux et appelé "botarges".
A partir du XVIII ème siècle (en 1770 dans le "Dictionnaire portatif de commerce") on commence à préciser qu’il s’en fait à 8 lieues de Marseille, dans un lieu nommé Martegue.
Cette spécialité est connue et appréciée à travers les grandes tables et les milieux aisés de la planète et constitue un présent inestimable parfois, de la Russie à l’Afrique. Les Juifs en sont friands. Les Grecs l’utilisaient pour la fabrication de l’authentique tarama.
Fabrication :
Privilège de quelques pêcheurs et d’entreprises familiales, sa fabrication demeure artisanale.
Chaque poutargue est constituée de la paire de poches d’oeufs, jamais dissociées, provenant de mulets capturés en Méditerranée, mais la raréfaction de ce poisson oblige souvent à en importer de Mauritanie. Traditionnellement, c’est au moment où le muge quitte l’étang de Berre pour aller frayer en mer que les poissons sont capturés "au passage" avec un filet horizontal appelé "calen" ou "carrelet" ou "globe".
La période de pêche relève d’une autorisation du 1er juillet au 1er mars (le printemps est réservé à l’entrée du poisson dans l’étang de Berre).
En 1920 on comptait une dizaine de calens entre Martigues et Porc-de-Bouc.
Actuellement il en reste 3 en fonctionnement dont 1 à Martigues, 1 à Port-de-Bouc et un aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
Pour ceux qui ont vu des carrelets (ces filets de 3 m sur 3 environ, très nombreux sur nos côtes, manœuvrés à la main ou avec un petit treuil au bout d’une "perche"), le calen n’est pas du même gabarit : celui de Martigues mesure 95 m de long sur 40 m de large et est mécanisé.
Plongé aux heures chaudes, le calen est remonté dans l’urgence lorsque les muges, qui se déplacent en banc, sont repérés par les guetteurs.
Les femelles pleines (d’une pression des doigts à hauteur des ouïes, le pêcheur en juge) sont délicatement prélevées et rangées côte à côte, sur le dos, et sur un seul rang bien sûr, en casier.
Le prélèvement de cette double poche qui ne doit absolument pas être blessée est la phase la plus délicate d’une fabrication au demeurant fort simple. La muge est incisée (opérée) avec un outil tranchant comme un scalpel, du type "gut-hook" bien connu des chasseurs ou du "découd vite" des couturières afin de na pas blesser les viscères et la double poche dont une simple pellicule très fine maintient la cohésion des oeufs.
Côté queue de la muge, un morceau de chair attaché à la double poche, appelé le pécou, est conservé pour : faire bouchon et éviter que les poches ne se vident et
suspendre, plus tard, la poutargue lors du séchage ou du fumage ou de sa manipulation.
Les poches sont rincées à l’eau froide, essuyées et mises au sel (posées sur une couche de sel à cristaux plutôt petits mais il ne s’agit pas de sel fin et recouvertes de sel).
On insiste sur le salage du pécou dont la désydratation doit assurer sa résistance mécanique. Les poches sont déjà, à ce stade, triées par tailles car la durée du salage, afin de les faire dégorger, qui est en moyenne de 6 à 8 heures, est fonction de leur grosseur.
Le salage, durant cette phase, leur fait perdre leur eau, concentre les arômes et favorise la conservation en ôtant aux bactéries anaérobies leur milieu. Elles perdent à cette occasion environ 1/3 de leur poids.
Elles sont alors rincées et rangées entre 2 planches de bois. Là, durant une seconde phase de séchage au soleil ou en clayettes ventilées durant 2 à 3 jours, à l’abri des guêpes, les poutargues reçoivent une légère pression et s’aplatissent régulièrement pour obtenir cette forme de parallelépipède rectangle caractéristique d’une épaisseur d’1,5 cm et la cohésion des oeufs est renforcée.
L’exsudation de sel est essuyée et elles sont alors pendues par le pécou pour encore quelques jours durant lesquels leur saveur s’affine et s’affirme. Elles peuvent alors commencer à être consommées.
La couleur de ces minuscules grains est d’un miel ambré et la texture est souple. La couleur fonce avec le temps (jusqu’à noircir pour une poutargue très vieille) en même temps que la poutargue sèche et durcit.
Elles sont, en fabrication artisanale, présentées simplement dans leur gaine d’origine, naturelle et transparente. Les "industriels" les trempent, en sus, dans de la paraffine alimentaire qui assure mieux leur conservation hors de toute oxydation à l’air. Certains utilisent, plus récemment, de la cire d’abeilles.
Consommation :
Il semble que la poutargue n’ait pas toujours été un produit de luxe procurant un substantiel revenu additionnel aux pêcheurs : en 1886, F. Escard parle d’une "charcuterie ou boutargue", chez les pêcheurs de Martigues, qui accompagne le pain et le café au lait sucré du matin et le pain de midi avec du fromage et des olives après la soupe de poissons !!!
Aujourd’hui, produit extrêmement onéreux et très fin, la poutargue se consomme religieusement, seule et nature pour en apprécier ses saveurs, à l’apéritif par exemple, avec une extrême modération, coupée en lamelles de l’épaisseur d’une hostie. Quelques-uns ajoutent un filet de citron. Elle est aussi râpée sur des pâtes.
En 2000 son coût se situait autour des 160 Euros le kg. Il est toujours préférable d’acheter une poutargue entière (environ 200 à 300 gr).
Attention : Ne pas acheter une très épaisse couche de paraffine avec un énorme pécou à ce prix là.
Il existe des poutargues fumées.