2/ Les Opérations :
Les opérations que nous propose de faire dans la Camargue divisent naturellement en deux classes, les unes purement conservatrices de la propriété, telle quelle existe aujourd’hui ; les autres plus ou moins promptement productives, dont le résultat certain sera d’accroitre, d’année en année, la valeur et le rendement du sol dans des proportions diverses, mais constamment ascendantes, par une progression plus au moins rapide ; suivant les circonstances de position, l’activité ou le savoir-faire de chaque propriétaire.
Il est important, je pourrais même dire indispensable, de faire simultanément ces deux genres d’opération.
Proposer à la propriété d’augmenter ses dépenses, lorsqu’elle est obérée, sans augmenter ses ressources, ce serait lui demander un suicide. Elle ne pourrait y consentir.
Tandis que si on exécute, en même temps que les travaux de conservation, des travaux suffisamment productifs pour couvrir, par l’accroissement des revenus, l’intérêt des capitaux employés, la condition des propriétaires s’améliorant, sous tous rapports, sans qu’ils en éprouvent le moindre accroissement de gêne, on aura aisément leur consentement, surtout si le gouvernement leur vient en aide, comme il y parait disposé, comme il le doit. Ce que je vais établir.

3/ Les travaux :
Parmi les travaux qu’on a proposés, il en est plusieurs qui intéressent autant l’état et même le fisc que les propriétaires.
Ainsi, la digue la mer servirait de chemin de ronde pour surveiller les côtes ; pour empêcher les débarquements hostiles et le maraudage, en temps de guerre ; pour arrêter l’introduction frauduleuse de marchandises de contre bande et la communication des maladies contagieuses du dehors, en tout temps. Elle garantirait, aussi, les bas-fonds de l’eau de mer, dont l’introduction nécessite un service dispendieux pour empêcher la contrebande du sel. Sous ces divers rapports, elle serait, pour l’état, d’une telle utilité, qu’il devrait la faire à ses frais, lors même qu’il en résulterait aucun avantage pour l’agriculture et la salubrité publique.
Ainsi encore, cette magnifique artère commerciale qui met en communication la Méditerranée et, par elle, toutes les mers du monde avec le centre de la France et aboutit à la première de nos villes manufacturières, le Rhône a, pour le commerce, une telle importance, que le gouvernement ne devrait pas hésiter à entretenir, à ses frais, les digues qui le contiennent et le rendent navigable, lors même que ces digues ne préserveraient pas de submersion les propriétés particulières qui le longent et qui rendent à l’état plus de deux cent mille francs d’impôts.
Cet intérêt commercial est si grand, si positif, tellement évident, qu’il peut se trouver des circonstances où l’administration soit disposée à lui subordonner celui de l’agriculture. Au moment même ou je trace ces lignes, on s’occupe d’un projet de prolongement des digues du grand Rhône, jusque par delà les atterrissements du fleuve a son embouchure, dans l’intérêt de l’état et bien évidemment contre celui des propriétaires riverains.
En effet, les créments du fleuve, étant poussés par cette opération plus avant dans la mer, ne seront pas déposés, comme aujourd’hui, de droite et de gauche sur les terres de nouvelle formation qui s’y trouvent ; l’exhaussement de ces terres cessera et les eaux stérilisantes de la mer en prendront possession. Je ne serai contredit par aucun des habitants du littoral en annonçant même que la corrosion produite par le batillage des vagues finira par en faire disparaitre la majeure partie.
En outre, lorsque les digues seront prolongées, l’écoulement du fleuve étant plus lent et son niveau maintenu à une plus grande hauteur, d’Arles à la mer, il en résultera la nécessité d’exhausser encore l’endiguement, d’où un accroissement de dépenses pour cet exhaussement et pour l’entretien.
Enfin, il est possible et même présumable qu’à la suite de cette opération, le trajet d’Arles à la mer devenant plus court on peut évaluer l’ensemble de ces divers travaux à trois millions. Il me paraitrait juste que le gouvernement contribuât, au moins pour la moitié, à cette dépense. Resterait quinze cent mille francs à demander à la propriété, guère au-delà de ce qu’on évalue le perfectionnement des chaussées du Rhône, tout seul. Je dirai, plus tard, comment les propriétaires pourraient subvenir à cette dépense sans en éprouver la moindre gêne, et comment le gouvernement rentrerait largement dans ses déboursés, au bout de peu d’années.