Jacques Espelly :
"Cabri n’obéissait qu’a moi. Il ne voulait à aucun prix voir mon fils Christian.
Sur le pays, ce taureau ne me quittait pas et ne s’éloignait jamais à plus de 10 mètres de moi, Si mon fils était là, car tout jeune il m’accompagnait, Cabri était fébrile et mal a l’aise.

En fait Cabri était jaloux de Christian et il avait peur que le petit prenne sa place. Aussi, dès qu’il avait l’occasion, Cabri ne manquait pas de lui faire des crasses, si bien que Christian n’a jamais pu le trier dans la manade.
En fait sa domestication n’a été évidente qu’avec moi, compte-tenu qu’il a été élevé tout jeune au mas, avec les chèvres et un sanglier.
Très vite il a été mis en contact avec la manade et il a eu sa place.

Une fois, nous avons eu un taureau éborgné dans le camion par un congénère.
Nous l’avons soigné, nous lui avons enlevé son œil crevé, mais il avait aussi perdu pas mal de son acuité visuelle sur son autre œil.
Lorsqu’il était tranquille en manade, il a fait des saillies pendant un an, car venant d’une bonne lignée, il n’avait pas trop de problèmes et se conduisait à peu près normalement.

Par contre, quand on était obligé de s’occuper de lui, il stressait et alors il perdait presque totalement la vue.
Un jour où il était sur les vaches à Signoret et pour une raison inconnue, nous l’avons retrouvé sur un lévadon * de l’autre côté du canal à 3 km environ du clos où était la manade.

Un taureau borgne qui perd la vue au moindre affolement et « entier » de surcroît, vous voyez un peu les problèmes que nous avions à résoudre.

Ajoutez que nous ne pouvions pas trop l’approcher, au risque de le stresser davantage. Après son accident, ce taureau avait passé l’hiver au mas avec Cabri et une vieille vache du nom de Mimosa.
Je me suis dit alors que, se connaissant bien tous les trois et en particulier le son de la « sounaïa « de Cabri, la seule solution c’était de les amener vers ce taureau et là, laisser faire Cabri seul, qui, j’en étais sûr, ramènerait le biou vers le clos d’où il était sorti.

Dès que nous fumes en vue du taureau en en veillant bien à ne pas nous faire voir, je dis au simbèu « Allez Cabri, maintenant c’est à toi ».
Cabri s’est avancé d’un air débonnaire en direction du biou, suivi par la vache. Dès la rencontre, ils se sont fait des « mamours » et on sentait la satisfaction de cet étalon heureux de retrouver les siens. Alors nous avons de loin contourné le groupe et il a suffi d’un commandement à Cabri pour que celui-ci tout en broutant reprenne le chemin du retour.

Or, a un moment donné, au changement de propriété, il y avait une forte déclivité que la vache qui était en tête franchit allègrement, le taureau lui, à cause de son handicap hésita à s’élancer et stoppa net.
Cabri qui venait derrière lui, mine de rien, lui donna un coup d’épaule qui propulsa le taureau dans la pente et cela suffit pour que ce dernier passe cette difficulté.

Mais il restait encore une difficulté critique, c’était la traversée du pont du canal et tout de suite après, alors que le chemin continuait tout droit, il fallait tourner a droite pour rentrer dans le clos des vaches.
A l’entrée du pont, tout le groupe s’arrête et hésite Alors, peut-être pour débloquer la situation et tout machinalement, j’ai dit à Cabri :
« Allez Cabri, faut y ana, et avé las vaca »
Alors Cabri s’est placé à gauche du taureau, tout contre lui, s’est mis en marche sur le pont, et dès celui-ci passé, il a poussé le taureau sur la droite en direction du cléda * et du clos d’où le biou était sorti.

Quand on voit ça, il n’y a plus rien à dire si ce n’est que des anecdotes de Cabri comme celle-là, j’en ai une manade a vous raconter.

« Tenez !, enchaîne Jacques, une autre fois nous faisions courir sur l’ancien plan d’Aimargues et il y avait là un taureau d’un confrère qui ne voulait pas rentrer, ni avec un simbèu, ni après lui avoir mis une tête comme ça en allant le chercher au fer.
Voyant cela, je dis a mon confrère : "t’inquiète pas, j’ai Cabri".
Je fais alors sortir Cabri et je lui dis : "espère me".(attends moi).
Je me colle a lui afin qu’il me serve de bouclier et nous allons ainsi jusqu’au taureau. Là, je crie à Cabri qui d’un seul coup fait demi-tour en contournant le biou et dans le même temps je plante un coup de fer au taureau, qui surpris, mais, voyant Cabri rejoindre le toril, l’a suivi à son tour."

Voilà un exemple type de confiance et de communion entre le gardian et son simbèu et où une simple fausse note peut devenir une source de danger.

[1CABRI : un ouvrage lui a été consacré en 1967 : "L’histoire vraie de Cabri, taureau de Camargue" édité par la Bibliothèque de Travail Junior

Cabri
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