LA LOI DE 1807 EST-ELLE APPLICABLE AU TERRITOIRE DE CAMARGUE ?

La loi de 1807 organise le dessèchement des marais.

Les marais sont, d’après Dalloz, des terres abreuvées ou couvertes d’eaux stagnantes, soit à cause de l’absence d’écoulement des eaux, soit parce que les couches inférieures composées de glaise ou d’argile compacte s’opposent à l’infiltration .
Mr Picard les définit : “terrains recouverts par les eaux stagnantes, qui offrent une faible profondeur, et dont le défaut d’écoulement est dù à la disposition naturelle des lieux
.

Nos terrains de Camargue réalisent-ils les diverses conditions de cette définition ?
Nos marais sont-ils toujours couverts d’eau stagnantes ?
Le Valcarès et les étangs inférieurs en communication avec lui sont-ils toujours dans cette même situation ?
Sous l’influence des vents du nord, qui règnent au moins la moitié de l’année, ne s’évacuent-ils pas dans la mer, et si cette évacuation n’est pas complète en certains moments, peut-on leur faire absolument le reproche de garder des eaux stagnantes ?
Si, sous l’influence des chaleurs d’été, l’évaporation augmentant, le niveau des étangs s’abaisse, ne faut-il pas tenir compte au regard de la salubrité publique du caractère salé qu’acquirent les eaux ?

Deux choses capitales étaient à faire pour l’amélioration de la Camargue :

1/ Fournir aux propriétaires des moyens rapides et sûrs de se débarrasser des eaux qui fatiguaient leurs terres, c’est à dire d’assécher celles-ci à leur volonté
2/ En second lieu leur offrir de conduire ou faire conduire sur ces mêmes terres des eaux d’irrigation pour les humecter de même à volonté.

La première de ces ressources, indispensable à la bonne agriculture de Camargue, leur a déjà été fournie dans une mesure convenable, ainsi que nous avons eu l’occasion de l’expliquer, par application du programme restreint consacré par le décret de 1866.
Cet assèchement facultatif devait être l’acheminement certain à toutes les améliorations désirables, qui ne pouvaient s’accomplir en un seul bloc, et qui par le fait s’exécutent depuis vingts ans chacune a son heure, suivant les convenances et les ressources personnelles des propriétaires, sans contrainte ni ressources.

Et parmi les améliorations, sans doute partielles, mais importantes que nous pourrions citer une à une, et qui sont la mise en oeuvre des vues intelligentes et désintéressées de Mr Duponchel, se rencontre justement cette irrigation facultative à l’aide de machines élévatoires, desservant des roubines syndiquées ou des exploitations particulières.

Et cet assèchement ainsi procuré par l’exécution du décret de 1866 doit être considéré comme un double bienfait, non seulement au point de vue agricole, mais même au point de vue de la salubrité publique .

Autrefois, en effet, par suite de la nécessité à laquelle on était réduit d’attendre de l’évaporation seule l’assèchement des marais, l’eau qui les couvrait, échauffée par les chaleurs d’été, précipitait la décomposition des matières végétales et organiques qu’elle contenait, et en faisait une cause d’insalubrité.
La situation n’est plus la même aujourd’hui. Desservis par de larges moyens d’écoulement, les propriétaires de marais peuvent même, à l’aide de simples roubines d’arrosage naturel, les inonder et les dessécher à volonté. Tout le monde sait que cette pratique permet d’obtenir des résultats plus beaux., plus abondants, elle donne aux propriétaires la faculté même d’en régler pour ainsi dire la production et l’exploitation à leur convenance, enfin elle supprime les causes d’insalubrité dont nous venons de parler, en ne laissant point à la décomposition des matières végétales et organiques à temps de s’accomplir.

L’assèchement, tel qu’il a été compris et pratiqué aujourd’hui, a déjà facilité et continuera de faciliter les parties les plus élevées de l’île, qui désormais à l’abri de toutes submersions, seront plus aptes à recevoir les soins des cultivateurs , à devenir l’assiette d’exploitations variées, et peuvent entrer dans la classe des terres soumises à une culture régulière.

Ce sont là les véritables améliorations, et, chose remarquable, les travaux qui ont été exécutés en vue d’atteindre ce premier but, n’ont point constitué un régime nouveau. c’est le système qui régissait autrefois la Camargue, mais mieux aménagé, plus assuré d’une part par la digue à la mer, d’autre part par l ‘élargissement et l’approfondissement des canaux de vuidange.

Par contre, le dessèchement proprement dit, qui tendrait non seulement à régler le régime des eaux, mais encore à amener la Camargue tout entière à un état tel quelle puisse être totalement livrée à une culture réglée, ne peut paraître que d’une réalisation fort douteuse.
En attendant une métamorphose de leurs domaines, qui pourrait bien ne pas se produire , les propriétaires exposés aux aléas d’une opération longue et délicate se verraient tout d’abord privés de la majeure partie de leurs revenus.

Loin d’être un pas en avant, l’assèchement complet constituerait pour notre territoire un vrai mouvement de recul .

Quelque opinion que l’on puisse avoir sur ma méthode qui dirige l’agriculture en Camargue, il n’en ai pas moins vrai que pour obtenir telle ou telle production dans telles ou telles autres conditions, certaines règles sont à observer, et qu’il y a lieu de demander le concours de plusieurs éléments de culture qui constituent un véritable système.

Le dessèchement anéantirait d’abord, d’un seul coup, et sans le remplacer par rien l’une des matières les plus précieuses, et l’une des ressources les plus indispensables pour l’exploitation de nos domaines, nous voulons dire les litières à mettre sous les pieds du bétail, les roseaux destinés à produire les fumiers nécessaires à l’engrais et à l’ameublissement du sol, comme aussi à procurer les couvertures ou paillis, sans lesquelles les terres imprégnées de sels peuvent demeurer improductives.

Par le fait même de cette régularité de leur exploitation, de cette faculté alternative d’irrigation et d’écoulage, nos marais ne soit-ils pas une partie de nos cultures ? Et peuvent-ils paraître susceptibles de permettre au gouvernement de nous appliquer la loi de 1807 ?

S’il en était ainsi, ne pourrait-on point reprocher à l’état d’avoir bien peu pris soin depuis de longues années , et de notre agriculture et de notre salubrité, Pourquoi les projets de 1850, celui de 1862 ne nous ont-ils pas été imposés plus tôt au nom de cet intérêt public que l’on évoque aujourd’hui ?

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