La circulaire ministérielle du 21 août 1865 explique de la manière suivante le sens de cette disposition :

La loi nouvelle a eu pour but et aura, il faut l’espérer, pour effet d’encourager l’initiative individuelle, de provoquer l’esprit d’association et de faciliter ainsi l’exécution des travaux d’amélioration agricole.
Mais elle n’a pas entendu enlever au gouvernement les pouvoirs dont il est investi par la législation actuelle, à l’effet d’assurer, quand l’utilité en a été régulièrement constatée, l’exécution par les propriétaires intéressés de travaux, qui, à raison de leur nature spéciale tiennent à la sécurité ou à la salubrité publique

Le gouvernement peut donc prononcer ls concession d’un dessèchement de marais, conformément à la loi de 1807, si la majorité des intéressés dans les conditions déterminées par les lois de 1865-1888, refuse d’exécuter elle-même les travaux reconnus nécessaires et d’en supporter les dépenses .

L’exercice de ce droit exige toujours l’intervention d’un d’un décret délibéré en conseil d’état, et ce n’est qu’en présence d’un intérêt public incontestable , que l’administration se détermine à imposer à des propriétaires l’accomplissement de travaux dont ils auraient refusé de reconnaître l’utilité , mais, s’il l’exerce, le dessèchement ne pourra plus se faire que par l’état ou des concessionnaires.

Les propriétaires de Camargue qui ont déjà opposé la résistance que l’on sait aux projets de 1850, à ceux qui ont accepté le programme restreint de 1866 avec les développements dont il est susceptible, ne constitueront très probablement point la majorité requise pour qu’ils deviennent eux-mêmes les concessionnaires du dessèchement proposé, et nous n’avons qu’à nous occuper du cas où la société impétrante en obtiendrait la concession.

A cet égard, la loi de 1807 contient les dispositions suivantes :

“Art 5”
Les concessions seront faites par des décrets rendus en conseil d’état, sur des plans levés ou sur des plans vérifiés et approuvés par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, aux conditions qui seront prescrites par la présente loi, aux conditions qui seront établies par les règlements généraux à intervenir, et aux charges qui seront fixées à raison des circonstances locales

“Art 7” Lorsque le gouvernement fera un dessèchement , ou lorsque la concession aura été accordée, il sera formé entre les propriétaires un syndicat à l’effet de nommer les experts qui devront procéder aux estimations statuées par la présente loi. Des syndics seront nommés par le préfet, ils seront pris parmi les propriétaires les plus imposés à raison des marais à dessécher. Les syndics seront au moins au nombre de trois et, au plus au nombre de neuf, ce qui sera déterminé par l’acte de concession.

La principale mission du syndicat ainsi nommé était, jadis, de désigner un expert chargé de concourir, avec celui choisi par le concessionnaire, et le tiers expert nommé par le préfet, à la délimitation du périmètre qui devait être faite, conjointement avec les ingénieurs, à la classification et à l’estimation des terrains avant le dessèchement, puis, après réception des travaux, à une seconde classification de concert avec les ingénieurs, et enfin à l’estimation des terrains desséchés d’après leur valeur nouvelle.

Enfin le décret accordant la concession constituait en outre et conformément au titre X de la loi une commission spéciale qui remplissait des fonctions administratives et contentieuses, et était appelée de plus à connaître de l’estimation avant et après le dessèchement, et des contestations relatives à la plus-value.

Depuis 1865, le syndicat prescrit par l’art 7 est maintenu, mais seulement comme représentation volontaire des propriétaires intéressés, quand la concession est accordée à un soumissionnaire étranger. Ses membres ne sont plus nommés par le préfet, ils sont élus par les intéressés suivant les prescriptions du titre IV de la loi du 20 juin 1865. La mission de ce syndicat reste limitée à la désignation de l’expert, à la délégation d’un de ses membres pour procéder à la réception des travaux et à la préparation du règlement d’administration publique destiné à en assurer l’entretien.

Dans cet ordre d’idée, les bases de la représentation de la propriété à l’assemblée générale pour l’élection des syndics, peuvent être proposées pas les intéressés eux-mêmes, ou émaner de l’initiative du préfet sur la proposition des ingénieurs, mais elles devront, dans les deux cas, être soumises à l’enquête prescrite par les articles 5 et suivants du décret du 29 mars 1894.

Après cette enquête, les intéressés sont convoqués en assemblée générale par le préfet et, s’il résulte du procès-verbal dressé par le président, que les conditions de majorité déterminées par l’article 12 de la loi de 1865 ne sont pas remplies, les bases de la représentation de la propriété seront fixées par décret.
La fixation de l’étendue, de l’espèce et de la valeur estimative des marais avant dessèchement est déterminé par les articles 9 à 15 de la loi.

Cette estimation faite, les travaux peuvent commencer. Les articles 16, 17 et 18 se préoccupent de la situation des marais au cours des travaux et immédiatement après l’exécution des travaux de ceux-ci, et ils déterminent les conditions de la deuxième expertise.

Le titre 5 de la loi règle le payement des indemnité dues par les propriétaires en cas de dépossession. Si le dessèchement est exécuté par un concessionnaire, tout est réglé par l’acte même de concession , travaux à faire, délai pour l’achèvement, part proportionnelle de la plus-value obtenue. Cette proportion de la plus-value fait du reste l’objet d’une soumission qui doit être mise à l’enquête avec toutes les pièces du projet présenté par le demandeur en concession. Les articles 21 et 22 de la loi laissent aux propriétaires la faculté de se libérer de l’indemnité par eux due au concessionnaires, soit en lui abandonnant une partie relative des terrains desséchés suivant la dernière estimation, soit en lui payant le capital équivalent, soit en constituant à son profit une rente perpétuelle calculée à raison du 4% du capital représentant de part de plus-value.

Les articles 25, 26 et 27 du titre VI éditent des mesures propre à conserver les terrains de dessèchement après leur exécution.
Sous son titre X, la loi de 1807 réglait l’organisation et les attributions des concessions spéciales, dont les membres, nommés par le décret qui accordait la concession, étaient au moins de sept. Ces attributions étaient à la foi administratives et contentieuses. Les premières ordinairement confiées au syndicat, quand les propriétaires exécutent eux-mêmes la concession est consentie à un concessionnaire.
Elle sont alors permanentes depuis le décret de concession jusqu’à la réception définitive des ouvrages, et même jusqu’à l’entretien sur le mode duquel elles sont appelées à donner leur avis.

Les fonctions juridiques, au contraire touchant les les réclamation relatives à leur propres opérations, au jury d’expropriation, au règlement des indemnités de dépossession dans l’intérieur du périmètre, ont été enlevées par l’article 26 de la loi du 21 juin 1805 aux commissions spéciales, pour être confiées au conseil de préfecture du département, sauf recours au conseil d’état.

Nous ne terminerons point cet exposé de la loi de 1807, sans signaler une de ses dispositions les plus dures pour les propriétaires, qu’elles soumettent à l’arbitraire le plus complet :

« Art 24  » Dans le cas où le dessèchement d’un marais ne pourrait être opéré pas les moyens ci dessus, organisés et où, soit par les obstacles de la nature, soit par des oppositions persévérantes des propriétaires, ou ne pourrait parvenir au dessèchements, le propriétaire ou les propriétaires de la totalité des marais pourront être contraints à délaisser leurs propriétés, sur estimations faites dans les formes déjà prescrites.
Cette estimation sera soumise au jugement et à l’homologation d’une commission formée à cet effet, et la cession en sera ordonnée sur le rapport du ministre de l’intérieur par un règlement d’administration publique.

C’est, en somme, une véritable expropriation dans les formes qui viennent d’être dites,

Quelques auteurs dont Picard inspecteur général et Auroc membre de l’institut, enseignent que les dispositions de la loi de 1807 que nous venons de citer, ont été implicitement abrogées par la loi du 7 juillet 1831, qui a son tour fait place à celle du 3 mai 1841 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique..

Il leur paraît inadmissible en effet que, depuis la suppression des commissions spéciales par la loi de 1865, les conseils de préfecture auxquels ont été attribués les travaux de ces commissions, aient acquis en matière de dessèchement une compétence qui ne cadre point du tout avec leurs fonctions ordinaires, et ces auteurs estiment qu’on ne saurait refuser aux particuliers dépossédés en vue d’une opération de cette nature les garanties dont on a cru devoir entourer les expropriations en général.

D’autres auteurs ont, au contraire, pensé que la loi de 1807 n’avait point été explicitement abrogée, et que, comme loi spéciale, elle continuait à être en pleine vigueur.
Le conseil d’état ne s’est point prononcé sur la question qui ne lui a point été soumise, mais il tendrait à donner raison à ce dernier système. Le projet de loi sur le régime des eaux maintient, en effet, au gouvernement le droit de pratiquer l’expropriation, en appliquant à l’intérieur du périmètre du dessèchement le petit jury, et seulement en dehors de ce périmètre, le grand jury. (a) L’éventualité d’une expropriation est-elle à redouter pour nous ?

« On comprend, dit M.Passy, que dans le cas où la salubrité publique est trop gravement atteinte pour laisser subsister un marais dont le dessèchement n’offrirait aucune chance de profit pour la spéculation , le gouvernement centralise les moyens d’actions et réalise lui-même l’opération.
Mais, cette réserve mise dans la loi est d’une application tout à fait exceptionnelle, et, l’état n’en use que lorsque le marais appartient à des communes ou à des sections de communes, en exécution de la loi du 28 juillet 1860. outre qu’elle constituerait une charge trop onéreuse pour trésor, l’exécution par l’état des travaux de dessèchement pourrait emporter avec elle l’obligation pour les propriétaires de se dessaisir complètement de leurs propriétés, tandis que le but de la loi de 1807 est surtout de leur conserver tout ou au moins partie de leurs terrains desséchés, de manière à les faire bénéficier de la plus-value résultant des travaux exécutés »

Mr Picard considère l’application de l’article24 comme une exception et n’en cite qu’un seul exemple à sa connaissance : cette faite par la loi du 09 août 1881, qui déclarait d’utilité publique le dessèchement des marais de Fos et le colmatage de la Crau, et ordonnait que le montant des indemnités seront fixé par le petit jury.
Il ajoute :
« L’article 24 cite, parmi les causes qui peuvent ainsi conduire à procéder ainsi par vois d’expropriation, les oppositions persévérantes des propriétaires . Il n’en est pas moins vrai que le gouvernement est seul juge du cas où il convient de recourir à cette procédure exceptionnelle, qui peut être fort onéreuse. La loi l’arme pour triompher des résistances des propriétaires, aussi bien pour l’application du système de la plus-value que pour celui de l’expropriation. Mais, s’il estime que par suite de l’opposition des intéressés on se heurtera, dans le premier de ces systèmes à des difficultés excessives, il a le droit de les éliminer dès le début , moyennant indemnité.
Il nous reste à espérer qu’en présence, non point d’une opposition systématique, mais d’une résistance raisonnée et juridique, le gouvernement hésitera, non point seulement à mettre en œuvre l’article 24 de la loi de 1807, mais encore à concéder le dessèchement demandé.

(...)